<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: mars 2016

samedi 19 mars 2016

"Ce que tu donnes, c'est à toi pour toujours..."





« Ce que tu donnes, c'est à toi pour toujours ; ce que tu gardes, c'est perdu à jamais ! »
(Eric-Emmanuel Schmitt, Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran)

Il se trouve que cette année notre rencontre a lieu au moment où les chrétiens vont entrer dans la semaine sainte, qui commence par le dimanche des Rameaux — demain.

Lors de la montée de Jésus à Jérusalem, aux Rameaux, la foule ne sait pas exactement ce qu’elle demande — un roi — ; comme Abraham (Genèse 22), quand il commence sa montée vers le mont du sacrifice, ne sait pas. Aux Rameaux, la foule ne sait pas que celui qu’elle acclame comme un roi temporel devra être sacrifié comme tel, pour rayonner de sa vérité éternelle.

Rameaux annonce le renoncement, le don total, pour la résurrection du Christ éternel au dimanche de Pâques.

Il s'agit de renoncer, comme Abraham a renoncé. Il lui a fallu laisser son fils être ce qu'il est devant Dieu. Il lui a fallu en sacrifier ce qu'il croyait en savoir. Et découvrir à travers cela que tuer au nom de Dieu est inadmissible pour Dieu.

Il a fallu de même, de Rameaux à Pâques, apprendre à sacrifier ce que l'on concevait de Jésus — « qui dites-vous que je suis ? » avait-il demandé aux disciples — pour retrouver l'être de résurrection révélé au dimanche de Pâques.

C'est ce que Paul revivra avec les Éphésiens attristés au moment où il les quitte : « vous ne reverrez plus mon visage » leur dit-il — et plus loin : « leur tristesse venait surtout de la phrase où il avait dit qu’ils ne devaient plus revoir son visage ». (Actes 20) « Me voici en route pour Jérusalem, vient-il de leur annoncer ; je ne sais pas quel y sera mon sort, mais en tout cas, l’Esprit Saint me l’atteste de ville en ville, chaînes et détresses m’y attendent. » Et : « Je n’attache aucun prix à ma propre vie ; mon but, c’est de mener à bien ma course et le service que le Seigneur Jésus m’a confié. »

Il y a là pour Paul quelque chose qui a déjà été sacrifié. La propre image qu'il se faisait de lui-même. Et c'est aussi ce à quoi devront renoncer les Éphésiens, avec larmes.

« Vous ne reverrez plus mon visage » leur a dit Paul. Chose étonnante quand on pourrait se dire : mais ne le verront-ils pas lors de la résurrection ? — que Paul leur enseigne. Eh bien c'est là qu'est la clef précisément. Vient un jour où on ne reverra plus le visage que l'on connaît de quelqu'un. Il faut alors le découvrir dans sa vérité éternelle. Pour cela, il faudra sacrifier — donner sans réserve, abandonner — ce que l'on croyait en savoir. Et cela coûte des larmes, celles des Éphésiens, celles d’Abraham montant avec son fils, celles des disciples perdant le Christ, celles des femmes au pied de sa croix.

Écho à ce que dit Jésus à ses disciples au moment de sa mort : « vous ne me verrez plus ». Et puis vous me verrez, ajoute-t-il. Un Jésus est sacrifié, celui que l'on croyait connaître, pour qu’apparaisse le vrai Jésus, que l'on ne peut saisir — Jésus Christ éternel.

Tout cela est donné à valoir pour nous, pour chacun de nous. Il nous faut sacrifier ce que l'on croit pouvoir posséder de ses proches, et de soi-même pour paraître en pleine lumière, nés de Dieu. « Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » dira Paul aux Colossiens (Col 3, 3).

*

Colossiens 3, 1-8 : 1 Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; 2 c’est en haut qu’est votre but, non sur la terre. 3 Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu. 4 Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire. 5 Faites donc mourir ce qui en vous appartient à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais et cette cupidité, qui est une idolâtrie. 6 Voilà ce qui attire la colère de Dieu, 7 voilà quelle était votre conduite autrefois, ce qui faisait votre vie. 8  Maintenant donc, vous aussi, débarrassez-vous de tout cela : colère, irritation, méchanceté, injures, grossièreté sortie de vos lèvres.

Que nous dit ce texte ? Que si nous croyons à la promesse de la résurrection — et c'est un enseignement qui nous est commun, comme héritiers spirituels d'Abraham —, nous sommes déjà, dès à présent, dans la vie de résurrection, et tout ce qui détruit la vie — colère, irritation, méchanceté, ressentiment, etc. — n'a plus lieu d'être. Haïr, tuer, blesser au nom de Dieu n'a pas lieu d'être, lui est en horreur, « attire sa colère », dit le texte. C'est dès aujourd'hui qu'il faut vivre la vie de résurrection, qui est une vie de don, de bonté, emplie dès aujourd'hui de miséricorde pour tous.

Et vous savez, nous avons là la réponse à l’interpellation de Nietzsche contre les arrière-mondes, à savoir ce reproche fait aux croyants, souvent à juste titre, de ne pas vivre sous prétexte que la vraie vie ce serait après la mort ! — dans quelque arrière-monde.

Eh bien si nous comprenons les choses ainsi, si nous nous imaginons que la foi à la résurrection signifie qu'il ne faut pas vivre aujourd'hui, Nietzsche a raison contre nous. Et nous risquons fort en effet d'être déçus. Celui qui renonce à la bonté de la vie par haine, amertume, ressentiment, croyant trouver ce qui fait le bonheur après la mort, risque fort d'être déçu ! La qualité de la vie de résurrection se manifeste tout simplement dans la beauté de la vie dès aujourd'hui, c'est-à-dire dans le don, où précisément elle se trouve : « qui veut sauver sa vie, la perdra, dit Jésus ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera » (Luc 9, 24). « Ce que tu donnes, c'est à toi pour toujours ; ce que tu gardes, c'est perdu à jamais ! »


RP, rencontre interreligieuse
« Le don, des croyants s'interrogent »,
Poitiers, 19 mars 2016


mercredi 16 mars 2016

Éléments de vocabulaire des relations judéo-protestantes





Abordant la question des rapports entre foi protestante et judaïsme, il convient de s’arrêter sur quelques expressions, régulièrement utilisées mais souvent peu clairement définies…
À commencer par le terme, central puisqu’il qualifie deux ensembles des livres de la Sola Scriptura : le terme d’alliance… (Les astérisques dans le texte renvoient aux entrées respectives.)


Alliance(s)
La façon la plus connue de comprendre ce point central en christianisme, et donc en protestantisme, est qu’il y a deux alliances :
- la nouvelle alliance, chrétienne, donnée via le Nouveau Testament* et comme Nouveau Testament* (les deux notions, alliance et testament, relevant du même mot en hébreu comme en grec) ;
- et l’ancienne alliance, juive, reçue dans les livres de l’Ancien Testament*, ou Premier Testament, selon le vocable chrétien pour désigner les livres hérités de la Bible hébraïque*.
La nouvelle alliance a rapidement été perçue comme se substituant à une ancienne l’annonçant, l’Église se substituant de la sorte à Israël. Cette compréhension des relations entre judaïsme et christianisme est pointée actuellement comme « théologie de la substitution* ». Si la Réforme du XVIe siècle, avec notamment Luther, s’est généralement inscrite dans cette perception alors commune des relations judéo-chrétiennes, ce schéma a cependant pu être nuancé, notamment, en protestantisme, suite à Calvin.

Alliance unique
Pour Calvin, précurseur en cela, il n’y a essentiellement qu’une seule alliance, qui varie dans « l’ordre d’être dispensée ». Une alliance, des dispensations* : « l’alliance faite avec les Pères anciens est si semblable à la nôtre, qu’on la peut dire une même avec elle. Seulement elle diffère en l’ordre d’être dispensée. » (Institution de la religion chrétienne II, X, 2)
« Nouvelle alliance » peut s’entendre ici « alliance renouvelée » plutôt que « nouvelle » au sens de « autre ». Les rites (par ex. circoncision ou baptême) qui caractérisent les différentes façons par lesquelles l’alliance est « dispensée » sont seconds par rapport à la substance : la fidélité indéfectible de Dieu, qui vaut pour Israël comme pour l’Église, l’alliance n’ayant « pas été fondée sur les mérites des Patriarches » mais sur la « seule miséricorde de Dieu ».
Ces conséquences logiques de la notion d’alliance unique n’ont pas toujours été tirées, et n’ont pas fait ipso facto disparaître celle de substitution*, reprise alors éventuellement sous la forme d’un développement de l’unique alliance vers une complétude néo-testamentaire.

Anti-judaïsme
La théologie de la substitution* glisse très rapidement dans l’histoire à l’anti-judaïsme : les juifs sont accusés d’être opiniâtres, endurcis, en refusant de se rendre à l’évidence de chrétiens selon lesquels Dieu a mis terme à la première alliance* en l’accomplissant en Jésus-Christ.
En outre, prend place l’accusation de « déicide » : puisque Jésus est Dieu, qu’il a été mis à mort et que « les juifs » sont considérés, via une lecture des évangiles qui a fini par prendre beaucoup de poids, comme les responsables de son exécution, ils sont donc « déicides » ! Cette lecture du procès de Jésus est fort sujette à caution et l’exégèse a fini par en souligner résolument la redoutable complexité.

Antisémitisme
L’anti-judaïsme* glissera ensuite lui-même à l’antisémitisme via la « racialisation » du judaïsme. L’Inquisition espagnole joue un rôle non-négligeable vers ce glissement, en considérant que les conversions de juifs au christianisme obtenues par des pressions étant douteuses, il était opportun de distinguer les chrétiens « de souche » de ceux dont les ancêtres étaient juifs (ou Maures). On remonte ainsi jusqu’à quatre générations pour vérifier la « limpiezza de la sangre » — la « pureté du sang ». Lorsque par ailleurs on en vient à classifier les êtres humains en inventant pour cela des catégories raciales, en fonction des couleurs de la peau principalement, ou d’autres critères comme l’ascendance religieuse, la plupart des pays européens finissent par adopter l’idée d’une race juive, « sémite », racialisant donc l’anti-judaïsme en antisémitisme.

Anti-sionisme
L’anti-judaïsme* et l’antisémitisme* s’imbriquent parfois actuellement dangereusement avec l’anti-sionisme.
L’anti-sionisme désigne tout un éventail d’attitudes, allant du refus de la légitimité de l’État d’Israël à l’hostilité à tel ou tel aspect de sa politique. Tout dépend, quant à cet éventail de refus ou d’hostilités, de ce qu’on entend pas « sionisme* ».

Bible hébraïque
La Bible hébraïque est communément appelée « Tanakh », abréviation de Torah (תורה « Loi ») (connue aussi sous le nom grec de Pentateuque = 5 livres) ; Nevi'im (נביאים, « Prophètes ») ; Ketouvim (כתובים, « Écrits »).
Les livres de la Bible hébraïque se retrouvent dans le canon protestant de l’Ancien Testament* (ou Premier Testament), traditionnellement rangés dans un autre ordre — jusqu’à la TOB, qui reprend l’ordre hébraïque.
La Bible hébraïque, qui se suffit en soi, doit être distinguée de l’Ancien Testament*, qui suppose un Nouveau Testament*.

Dispensations / dispensationalisme
Le mot dispensation traduit le mot grec oikonomia / économie, que l’on trouve dans le Nouveau Testament* (Éphésiens 1, 10 ; 3, 2 et 9 ; Colossiens 1, 25) où il désigne l’administration de la grâce révélée en Christ.
Dans le cadre de la notion d’alliance unique* mise en exergue par Calvin, le mot signifie les modes divers et seconds de l’administration de cette alliance unique* (la variabilité selon le temps et les traditions des rites et sacrements) : « l’alliance faite avec les Pères anciens est si semblable à la nôtre, qu’on la peut dire une même avec elle. Seulement elle diffère en l’ordre d’être dispensée. » (IC II, X, 2. Cf. supra)
Ces différents modes d’administration (« dispensations ») d’une unique alliance de grâce verront par la suite souligner les spécificités propres à chacun d’eux : des théologiens de tradition généralement calviniste (Cocceius 1603-1669, Pierre Poiret 1616-1719, John Edwards 1639-1716) ont produit depuis le XVIIe et le XVIIIe siècle des travaux de réflexion sur ces spécificités. On finira donc par distinguer nettement, dans leur mouvance, les « dispensations » particulières, autant d’alliances diverses en fin de compte. Le théologien anglo-irlandais John-Nelson Darby (1800-1882), traducteur de la Bible en plusieurs langues et initiateur d’un mouvement religieux, frappera la mouture connue du « dispensationalisme », donnant sept dispensations successives : 1° Le temps de l’innocence, 2° Depuis la chute jusqu’au déluge, 3° Depuis le déluge jusqu’à Abraham, 4° L’époque des patriarches, 5° La loi, 6° L’Église et la période chrétienne, 7° Le royaume (d’une durée de mille ans / Apoc 20). Ce schéma a été popularisé dans le protestantisme (et parfois au-delà) via la Bible dite de Scofield (Cyrus-Ingerson Scofield 1843-1921, théologien américain) dotée de commentaires adhérant à cette théologie (une Bible avec ces commentaires existe en français).
Dans cette perspective, Israël correspond à une « dispensation », celle de la Loi, distincte de celle de l’Église, dispensation non-abrogée : les deux subsistent parallèlement. La dispensation d’Israël comprend la terre, d’où la lecture de la création de l’État moderne d’Israël comme relevant de la prophétie, de son accomplissement et de sa « réactivation » après près de vingt siècles : c’est un des fondements théologiques du sionisme* chrétien.

Messianique
Le mot « messianique » est l’équivalent de l’appellation « chrétien » — ici à partir du grec, là de l’hébreu. Relativement aux mots équivalents « messie » ou « christ ». Le terme « messianique » est repris depuis quelques décennies dans des cercles d’origine juive croyant à la messianité de Jésus, s’intitulant eux-mêmes mouvements « juifs messianiques ». Les courants de cette mouvance sont divers quant à la pratique religieuse (et parfois quant à la compréhension de la relation de Jésus et de Dieu). Il existe tout un éventail depuis ceux qui ont rejoint des Églises chrétiennes existantes et leurs rites, jusqu’à ceux qui maintiennent les pratiques juives — voire de façon intégrale.
La façon dont ils sont perçus est variable : comme des chrétiens d’origine juive, mais ayant cessé d’être juifs en devenant chrétiens à un pôle, comme un nouveau courant du judaïsme recevant Jésus comme le Messie tout en restant juifs à un autre pôle, sans compter les compréhensions intermédiaires.
Cela peut être considéré en regard des deux façons de rendre en français le mot juif ou Juif — avec ou sans majuscule — correspondant à deux compréhensions : être juif (sans majuscule) comme fait religieux (parfois dit « israélite ») ; être Juif (avec majuscule) comme fait national, fût-il de diaspora. (Dans les deux cas, à ne pas confondre avec Israélien, le fait national moderne.)
C’est ainsi que la question des « juifs messianiques » se complique avec ceux d’entre eux qui estiment que les juifs, les « autres » Juifs diraient-ils, doivent eux aussi devenir disciples de Jésus, voire avec ce que cela implique traditionnellement d’abandon des rites mosaïques — et donc devenir chrétiens ! Dans cette perspective, être Juif est plutôt perçu comme un fait national, fût-il de diaspora : le mouvement « juif messianique » mènerait donc à terme à une nation juive de religion chrétienne (i.e. messianique) ?! Ou, si être juif est d’abord un fait religieux, cela tendrait-il à terme à un passage du judaïsme à telle ou telle forme de christianisme, ou à un statut de religion chrétienne (i.e. messianique) ?!

Loi de Moïse / Loi de Noé / noachides
La question du mode des relations concrètes au judaïsme — comme religion de l’observance de la loi de Moïse reçue dans l’alliance* mosaïque — a été posée de diverses façons dans l’histoire du christianisme. Dans le Nouveau Testament* cette question trouve un point d’orgue au livre des Actes des Apôtres, renvoyant à l’enseignement juif sur la « loi de Noé » ou « noachide » — relative à l’alliance de Noé.
La loi noachide consiste selon le Talmud en sept préceptes que doivent observer les non-juifs. Talmud de Babylone traité Sanhédrin 56 a :
Nos sages ont enseigné : sept lois ont été données aux fils de Noé [à l’humanité] :
établir des tribunaux (1),
l’interdiction de blasphémer (2),
l’interdiction de l’idolâtrie (3),
l’interdiction des unions illicites (4),
l’interdiction de l’assassinat (5),
l’interdiction du vol (6),
l’interdiction d’arracher un membre d’un animal vivant (7).
C’est ce que l’on retrouve repris en substance au livre des Actes des Apôtres comme proposition de Jacques quant aux non-juifs qui ont adhéré à la foi de Jésus :
« Je suis donc d'avis de ne pas accumuler les obstacles devant ceux des païens qui se tournent vers Dieu. Écrivons-leur simplement de s'abstenir des souillures de l'idolâtrie, de l'immoralité, de la viande étouffée et du sang. Depuis des générations, en effet, Moïse dispose de prédicateurs dans chaque ville, puisqu'on le lit tous les sabbats dans les synagogues. » (Actes 15, 19-21).
Cette approche est reprise aujourd’hui mutatis mutandis par certains courants du christianisme, notamment protestants, repensant de la sorte le rapport au judaïsme. Pensons à des mouvements comme l’adventisme, qui élargissent la question de la relation à la loi de Moïse au-delà même de la simple loi noachide : cf. l’observance du shabbat. Le questionnement sur le shabbat s’enracine, avant l’adventisme, dans des mouvements réformés et puritains anglo-saxons.

Sionisme
Le sionisme est d’abord le mouvement dont la figure représentative est Théodore Herzl, juif d’Autriche-Hongrie, pour qui être Juif (avec majuscule en français donc) signifie d’abord une réalité nationale en diaspora — et trop souvent indésirable en diaspora (on est à l’époque de l’affaire Dreyfus). Cf. le livre de Herzl, L’État des Juifs (1896). Il fonde comme une alternative à l’antisémitisme* le mouvement sioniste, en 1897 (au congrès de Bâle).
Le sionisme n’est pas un mouvement religieux, mais il rencontre par la suite l’aval de plusieurs mouvements chrétiens, généralement dispensationalistes*, qui considèrent comme accomplissement des prophéties bibliques l’éventuelle création d’un État des Juifs en terre turque (puis britannique) de Palestine (la localisation de l’État des Juifs eût pu être autre).
Les juifs religieux de l’époque n’adhèrent pas au projet sioniste, non plus que la plupart des chrétiens, protestants y compris.
La réalisation du projet sioniste avec la reconnaissance en 1948 de l’État d’Israël suscite l’enthousiasme, notamment des chrétiens sionistes de la mouvance dispensationaliste*, mais aussi au-delà, et ne connaît que peu d’opposition protestante.
Les choses changent en 1967, après la Guerre des Six jours, quand le terme « sioniste » prend un autre sens, d’autres connotations, suite à la domination israélienne de terres palestiniennes. Le terme en vient à connoter extension territoriale, colonisation de terres palestiniennes, oppression, etc.
Si des chrétiens, souvent protestants, demeurent sionistes, d’autres prennent leurs distances.

Shoah
Le génocide perpétré par l’Allemagne nazie avec la complicité de plusieurs autres nations — dont l’État français de Vichy —, débouché de la compréhension raciale de ce qu’est être juif, débouché du racisme antisémite, bouleversera la compréhension du monde, de l’homme, de Dieu même : Hans Jonas parlera du Concept de Dieu après Auschwitz.
Le choc en retour favorisera donc le développement de vastes réflexions théologiques et le sens de l’urgence d’un dialogue, pour que cesse « l’enseignement du mépris », selon la formule de Jules Isaac, cofondateur de l’Amitié judéo-chrétienne de France, évoquant la « théologie de la substitution* ».
La certitude d’un rapport exclusif à la vérité qui habitait assez communément les systèmes théologiques chrétiens est ébranlée : une nouvelle humilité théologique, devenue nécessaire, est désormais largement partagée.

Substitution
Le terme de substitution caractérise l’idée, séculaire en christianisme, y compris protestant, selon laquelle l’alliance* avec Israël serait devenue caduque avec l’avènement du Christ et suite à quoi l’Église aurait été substituée à Israël.
Si la Shoah* est le fruit de l’idéologie raciste, la question est posée depuis de savoir si « l’enseignement du mépris » n’a pas contribué à ce débouché. Dans la mesure où le christianisme a enseigné que le judaïsme relevait du passé, d’un passé révolu, rendu caduc par l’avènement de l’Église, celle-ci était effectivement très mal armée pour exercer toute la vigilance requise face à ce que l’on pourrait assimiler à un passage à l’acte : de la caducité théorique d’Israël à sa disparition réelle…
La question actuelle est donc à nouveau celle de la vigilance, quant au vocabulaire utilisé, quant aux concepts théologiques déployés, quant à la traduction des termes du Nouveau Testament*, quant à la prédication, à la catéchèse, etc. Veiller à percevoir Israël et le judaïsme comme réalités présentes, vivantes, comme vis-à-vis actuel et nécessaire du christianisme, qui n’y a jamais été substitué…

Testaments (Ancien et Nouveau)
- Ancien Testament : Le canon protestant de l’Ancien Testament / Premier Testament reprend les mêmes livres que la Bible hébraïque* (rangés traditionnellement dans un ordre différent — en France jusqu’au temps de la TOB). Le canon protestant diffère en cela des canons catholique romain et orthodoxe qui reprennent en outre chacun un certain nombre de livres appartenant à la liste de livres de la Bible des Septante (LXX), issue du judaïsme hellénistique, alexandrin — cf. la liste des livres « deutérocanoniques » (= canonisés deuxièmement) de la TOB. Le canon éthiopien contient en outre quelques autres livres, comme# le Livre d’Hénoch. (# Erratum concernant la version papier : y manque cette partie de phrase en italique.)
- Nouveau Testament : Pour les auteurs de ce qui est devenu le Nouveau Testament, il n’y a pas d’Ancien Testament comme livre biblique en vis-à-vis du Nouveau. Dans le Nouveau Testament, la seule Bible est la Bible hébraïque* (ou parfois la LXX). L’unique apparition du terme « Ancien Testament / Ancienne alliance » (2 Corinthiens 3, 14) réfère à la lecture de la Bible hébraïque* en regard de la foi en Christ, dont cette même foi fait un livre de l’Ancien Testament / Ancienne alliance. C’est donc le Nouveau Testament comme aune de lecture de la Bible hébraïque* qui fait apparaître en celle-ci un livre de l’Ancien Testament / Ancienne alliance (qui diffère de la nouvelle « selon l’ordre d’être dispensée »), tandis que la Bible hébraïque* garde ses propres significations indépendamment du Nouveau Testament.


Roland Poupin
Juifs et protestants, une fraternité exigeante
"Éléments de vocabulaire des relations judéo-protestantes"


lundi 14 mars 2016

Rameaux et Souccoth






Luc 19, 28-44
28 Après avoir ainsi parlé, il partit en avant et monta vers Jérusalem.
29 Lorsqu'il approcha de Bethphagé et de Béthanie, près du mont dit des Oliviers, il envoya deux de ses disciples,
30 en disant : Allez au village qui est en face ; quand vous y serez entrés, vous trouverez un ânon attaché, sur lequel aucun homme ne s'est jamais assis ; détachez-le et amenez-le.
31 Si quelqu'un vous demande : « Pourquoi le détachez-vous ? », vous lui direz : « Le Seigneur en a besoin. »
32 Ceux qui avaient été envoyés s'en allèrent et trouvèrent les choses comme il leur avait dit.
33 Comme ils détachaient l'ânon, ses maîtres leur dirent : Pourquoi détachez-vous l'ânon ?
34 Ils répondirent : Le Seigneur en a besoin.
35 Et ils l'amenèrent à Jésus ; puis ils jetèrent leurs vêtements sur l'ânon et firent monter Jésus.
36 A mesure qu'il avançait, les gens étendaient leurs vêtements sur le chemin.
37 Il approchait déjà de la descente du mont des Oliviers lorsque toute la multitude des disciples, tout joyeux, se mirent à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu'ils avaient vus.
38 Ils disaient : Béni soit celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel
et gloire dans les lieux très hauts !
39 Quelques pharisiens, du milieu de la foule, lui dirent : Maître, rabroue tes disciples !
40 Il répondit : Je vous le dis, si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront !
41 Quand, approchant, il vit la ville, il pleura sur elle
42 en disant : Si toi aussi tu avais su, en ce jour, comment trouver la paix ! Mais maintenant cela t'est caché.
43 Car des jours viendront sur toi où tes ennemis t'entoureront de palissades, t'encercleront et te presseront de toutes parts ;
44 ils t'écraseront, toi et tes enfants au milieu de toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n'as pas reconnu le temps de l'intervention divine.

*

« Parce que tu n'as pas reconnu le temps de l'intervention divine », dit Jésus se lamentant sur Jérusalem (v. 44), « tu vas être détruite »… Qu’est-ce à dire ? Tout simplement que la Judée n’a pas, loin s’en faut, la puissance militaire des Romains. La destruction de 70 : une issue inéluctable.

Perspective tragique pour laquelle Jésus pleure (v. 41). Déjà le prophète Zacharie, ch. 4, v. 6, parlait ainsi de l’intervention divine : « ce n’est ni par la puissance ni par la force, mais c’est par mon Esprit, dit le Seigneur des armées ».

Telle est la leçon qui transpire de l’issue inéluctable induite de la faiblesse militaire, leçon qui perce depuis la prophétie de Zacharie ; la leçon que Jérusalem ignore tragiquement, et que veut rappeler Jésus par le geste prophétique de son entrée dans la ville au dos d’un ânon — d’où la mise en scène, qui a retenu les disciples, autour de l’ânon, qui n’est pas un cheval, pas un animal militaire. « Ni par la puissance ni par la force, mais c’est par mon Esprit, dit le Seigneur des armées ».

Dans le cadre de l’année liturgique juive, on lit Zacharie (ch. 14, v. 1-21) annonçant le jour où toute l’humanité reconnaît le Dieu vivant, — tandis que, toujours selon Zacharie, le Messie annoncé arrive sur un ânon (ch. 9, v. 9). La lecture de Zacharie 14 annonçant le jour où toute l’humanité reconnaît le Dieu vivant, a lieu le premier jour de la fête de Souccoth, ou des ‘cabanes’ (i.e. 'tabernacles'), célébrée au début de l’automne, suite à Roch Hachana, le Nouvel an. Une fête durant laquelle on vit une semaine sous des branchages, des Souccoth, des ‘cabanes’ comme au temps de l’Exode, au temps du désert, qu’elle commémore ; tandis qu’elle annonce face au souvenir de l’Exode, une nouvelle Pâque, une délivrance définitive.

Le dernier jour de la fête, tous les fidèles font cortège autour de la Torah, en chantant « Hoshanna » — « Seigneur, sauve maintenant » (Ps 118, 25), rameaux en mains, selon la prescription du livre du Lévitique (ch. 23, v. 40) : « Vous prendrez des branches de palmier, des rameaux de l'arbre touffu et des saules de rivière ; et vous vous réjouirez, en présence du Seigneur votre Dieu, durant sept jours », demeurant dans des cabanes de branchages, sept jours devenus dans les Évangiles figure des sept jours de la semaine sainte.

Car, on le voit bien, notre fête de Rameaux évoque irrésistiblement cette fête juive de Souccoth. Et ce n’est pas par hasard. Souccoth commémorant les lendemains de la première Pâque, a une connotation pascale. S’annonce alors pour le peuple la délivrance qui s’accomplit dans la venue du Règne du Messie que, dans les Évangiles, on reconnaît en Jésus.

Voilà qui met en perspective le rapport de Rameaux et de la Semaine sainte ! Un rapport qui ne serait pas tant de l’ordre de la chronologie que de celui de la permanence de la promesse, qui relie tout le temps liturgique, du Nouvel an à la Pâque et à la Pentecôte (« par mon Esprit », dit le Seigneur) : une mise en perspective ouvrant sur l’entrée de ce temps dans l’éternité de Ressuscité... Où la croix devient l'axe du temps.

Une mise en perspective qui fait rejaillir tout à nouveau la promesse de la première Pâque : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai libéré de l’esclavage » — quand tu entreras dans la liberté que je te donne, tu sauras enfin accueillir le don que je te fais.

Et voici que « Dieu fixe de nouveau un jour — aujourd’hui — en disant bien longtemps après, par la bouche de David (Ps 95, 7-8) : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs. Il reste donc un repos de sabbat pour le peuple de Dieu. Car celui qui entre dans le repos de Dieu se repose aussi de ses œuvres, comme Dieu se repose des siennes. Empressons-nous donc d’entrer dans ce repos-là » (Hébreux 4, 7 & 9-11). Pour cela, Seigneur, « sauve maintenant ! Hoshanna ! »

Voilà qui donne un éclairage à la lamentation de Jésus sur Jérusalem qui suit immédiatement son entrée triomphale !

Cette lamentation sur une Jérusalem en passe d’être la proie de ses ennemis se rattache à la façon dont est soulignée la présence de l’ânon. Sa préparation mystérieuse en quelque sorte, sa présence dès lors inévitable ce jour-là, nous placent au cœur de la prophétie de Zacharie.

Le dernier chapitre du livre de Zacharie, le ch. 14, lu lors la fête de Souccoth, le premier jour de la fête, annonce, avant la pacification autour du Dieu vivant, un temps où tous les peuples se réuniront pour lutter contre Jérusalem et s'en empareront.

Mais ils seront finalement vaincus. « Et ceux qui se seront dressés contre Jérusalem y monteront chaque année pour se prosterner devant le Roi Seigneur des Armées, et célébrer la solennité de Souccoth », annonce la prophétie. Dans sa signification profonde, cette fête, symbole de la protection divine, préfigure les jours du Messie où l’humanité entière reconnaîtra le Dieu vivant ; le Messie annoncé par ce même Zacharie arrivant sur un ânon.

Après le temps de joie de la fête ; tandis que Jésus approche de Jérusalem, il pleure sur elle, dit le texte, donnant alors une tonalité particulière à la fête, et soulignant tout le sens prophétique qu’il lui donne.

Venu sur un ânon, il se présente en triomphateur humble et pacifique, au nom de Dieu — « béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » — Dieu en qui tout est toujours possible. Cette procession royale précède la violence de l’attaque future de Jérusalem, comme la procession royale du livre de Zacharie annonce le salut miraculeux de Jérusalem — salut qui intervient au cœur même de sa détresse.

Quelle est la chronologie des événements selon Zacharie ? Difficile à dire. Deux perspectives se superposent : l’attaque de Jérusalem et sa délivrance miraculeuse liée à la présence du roi humble, venant sur un ânon, au seul nom du Seigneur.

Ce n’est pas par la force que tu obtiens ta délivrance, c’est par mon Esprit, dit le Seigneur (dans la prophétie de Zacharie : « ni par la puissance ni par la force, mais c’est par mon esprit, dit le Seigneur des armées »).

En d’autres termes la procession de Jésus sur un ânon vient annoncer la délivrance de Jérusalem, qui peut intervenir à tout moment. Le Seigneur intervient au cœur même de la menace, au cœur même de l’encerclement de Jérusalem par tous ses ennemis.

Or voilà que le signe de cette intervention, le roi humble venant sur un ânon, vient d’être donné.

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Où l’on retrouve le côté superposé qui est celui de l’apparente chronologie Souccoth-Pâques dans les Évangiles. Ce n’est pas un ordre chronologique des événements qui est proposé — mais tout comme dans Zacharie, c’est un croisement menace-délivrance qui se superposent. Avec une question : qu’allons nous choisir, la terreur devant l’ennemi qui menace ? Ou la confiance en ce que la délivrance, qui ne vient pas par la force — l’ennemi est de toute façon trop puissant —, est donnée par l’Esprit du Seigneur, Esprit d’humilité.

Voilà le signe qui est donné ce jour-là, et voilà la raison des pleurs de Jésus : la menace s’accomplira — quelques décennies après en l’occurrence : l’an 70.

Mais déjà au cœur de la menace, il a donné la parole de la délivrance : celle du prophète Zacharie : « réfugiez-vous en moi seul, c’est par mon Esprit », dit le Seigneur. Et signe de cela, ton roi vient à toi sur un ânon. À ce moment-là, au jour des Rameaux, dans cette prophétie de Souccoth, tout est donné, tout est en passe d’être accompli !

Car ce qui s’annonce aux Rameaux, c’est l’accomplissement de l’invocation de Souccoth : « Hoshanna », « sauve dès maintenant » ! C’est bien dès maintenant, toujours dès maintenant, que vient le salut. L’intervention du Dieu du salut a lieu dès aujourd’hui, avant même que les puissances ennemies n’aient mis en œuvre leur menace.

Alors se dessine la façon dont la délivrance, qui n’est pas le fait de la force s’opère dès maintenant, la façon dont elle va s’accomplir : non seulement celui qui vient sur un ânon ne va pas déployer on ne sait quels moyens militaires terrestres, ou autres armées célestes, mais il va briser la puissance de l’ennemi, de tout ennemi… en mourrant : la croix est en perspective. Il l’emporte alors jusque sur le dernier ennemi, la mort, qui ne peut le retenir, et le voit se relever au dimanche de Pâques.

C’est là ce qu’annonce la fête de Souccoth selon sa relecture dans l’Évangile des Rameaux : l’accomplissement de toutes les délivrances… « ni par la puissance ni par la force, mais par mon Esprit ».


RP,
Pastorale œcuménique, Lusignan, 10.03.16