<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: décembre 2015

dimanche 13 décembre 2015

À propos du mot "alliance"





Le mot hébreu berith, traduit par «alliance», est employé dans la Bible pour désigner notamment un engagement divin avec les hommes. Il se rapporte à une diversité de déploiements : alliance avec Noé, avec Abraham, avec le peuple hébreu via la médiation de Moïse, avec David et sa dynastie, tandis que les prophètes dessinent l’espérance d’une «nouvelle Alliance», reprise par le Nouveau Testament, avec le vocable grec utilisé par la Bible des LXX, diatheke, qui connote aussi l’idée de Testament.

L’alliance avec Noé concerne toute l’humanité, que Dieu s’engage à préserver, avec l’arc-en-ciel donné comme signe de cet engagement. La tradition juive repère une loi de Noé que l’humanité doit respecter, en sept commandements, repris de façon allusive dans le livre des Actes des Apôtres (15. 19-21) concernant les croyants en Christ issus des nations.

Dans l’alliance avec Abraham, qui a pour signe la circoncision, Dieu s’engage à donner au patriarche une descendance abondante, à l’origine (entre autres) du peuple hébreu, à travers lequel Abraham est annoncé comme signe de bénédiction divine universelle.

Le peuple hébreu à son tour entre dans une alliance, accompagnée de la promesse du don de la terre de Canaan. La part d’engagement requise de la part du peuple, est d’observer la loi donnée par l’intermédiaire de Moïse, dans laquelle le judaïsme dénombrera 613 commandements (dénombrement classé par Maimonide au XIIe).

La dynastie issue du second roi d’Israël, David, est garantie par la promesse divine d’une perpétuité de son trône, en proximité du symbole du Temple et de son emplacement à Jérusalem.

La menace d’invasion qui débouche sur la destruction du Temple, la rupture de la succession dynastique de la monarchie davidique et la déportation du peuple, s’accompagnent de la promesse prophétique d’une nouvelle alliance dont les textes néo-testamentaires se réclameront pour désigner l’origine divine du tournant christique, scellant l’alliance (jouant de la connotation du mot grec signifiant aussi «testament») dans la mort et la résurrection de Jésus, d’où naît un peuple, issu de juifs et non-juifs, élargissant ainsi l’alliance aux nations.

*

Le problème qui se pose est de savoir si cette « nouvelle alliance », ou « nouveau testament » est une autre alliance que celle qui est scellée avec Israël ou si c’est la même, nouvelle alors au sens de « renouvelée », ce que semblerait pouvoir induire la promesse prophétique d’une « nouvelle alliance » dont se réclament les textes néo-testamentaires : la même alliance « inscrite dans les cœurs »…

Le christianisme ancien a très vite opté pour la lecture voulant qu’il s’agisse d’une autre alliance, qui quoique forte d’analogies avec la première, celle d’Israël, fait de celle-ci une «ancienne alliance». Dans cette perspective, la nouvelle alliance tendra rapidement à se substituer à l’ancienne, à l’accomplir, selon une lecture particulière du propos de Jésus « Je suis venu accomplir et non abolir » -accomplissement se concrétisant en une abolition de fait !

C’est Calvin qui remet le plus nettement en question cette lecture, lui préférant l’idée d’une alliance renouvelée, et devenant en cela précurseur. Pour lui, Dieu nous assure de son élection par la seule foi qu’il est fidèle à sa promesse1. L’alliance, unique, nous précède, remontant avant la fondation du monde dans la promesse du Dieu éternel, et scellée dans le temps bien avant nous. Scellée avec Abraham. Unique, même si elle apparaît diverse : « l’Alliance faite avec les Pères anciens est si semblable à la nôtre, qu’on la peut dire une même avec elle. Seulement elle diffère en l’ordre d’être dispensée. »

Voilà qui potentiellement induit la pérennité de l’alliance avec Israël, pérennité qui au fond atteste celle qui vaut pour les chrétiens. L’alliance, déjà scellée par Dieu avec Abraham, Isaac et Jacob, avec Moïse et le peuple au Sinaï, n’est pas résiliable. Dieu lui-même s’est engagé ! L’Alliance conclue par Dieu avec les Pères n’ayant « pas été fondée sur leurs mérites mais sur sa seule miséricorde ». Dieu s’est engagé de façon irrévocable, de telle sorte qu’une révocation serait même contradictoire en christianisme, puisque la «nouvelle» alliance -«nouvelle» donc non pas parce qu’elle serait autre, mais en tant qu’alliance unique renouvelée ; la «nouvelle» alliance repose sur cette même fidélité de Dieu ! On peut même dire que la promesse ne vaut pour les chrétiens que si elle vaut pour les juifs.

Ici les formes que prend cette unique alliance sont secondes par rapport au lien scellé en la promesse de Dieu, qui transcende les signes (rites et sacrements) où elle nous est annoncée, que ce soient les signes propres au judaïsme, ou ceux du christianisme.

Malgré cela, une lecture du sens de cette unique alliance a pu se faire jour, qui tend à rejoindre l’idée de substitution par l’affirmation d’une sorte d’évolution rituelle, relative à l’idée de progression de la révélation de cette unique alliance jusqu’en Jésus Christ. Les rites issus de la révélation du Christ sont alors ceux auxquels tous devraient se plier : une subtile façon de substitution peut donc se réintroduire.

Une autre approche est aussi apparue, qui souligne la différence des rites comme partie intégrante d’une alliance. Se développera alors un courant qui deviendra par la suite le « dispensationalisme », qui consiste à penser que Dieu a scellé avec les humains une série d’alliances signifiées par les diverses façons dont elles sont dispensées, les diverses «dispensations». Les tenants de cette approche en dénombrent le plus souvent sept, percevant des alliances/dispensations distinctes « en amont » dès le Paradis (avant, puis après le péché d’Adam), et « en aval » le Royaume de Dieu.

Ce courant qui est héritier de Calvin sur le point de l’alliance, alors qu’il s’en sépare pour le reste, estime que les diverses dispensations ne sont pas caduques, non plus que leurs caractéristiques rituelles propres. La dispensation/alliance avec Israël n’est pas abolie par celle qui se déploie en parallèle avec l’Église. La majorité des dispensationalistes n’en espèrent pas moins une rejonction finale par la conversion d’Israël à la foi du Christ.

On a toutefois, avec ces deux traditions protestantes, alliance unique ou dispensations multiples, la possibilité de concevoir une autre approche que celle, plus traditionnelle, qui consiste à dire que l’alliance avec l’Église « accomplit »la première alliance avec Israël.

Ces deux approches ont sans doute joué un rôle, fut-il discret, dans les nouvelles façons de poser la question des rapports du christianisme) avec le judaïsme, en ce qui concerne la notion d’alliance.


samedi 12 décembre 2015

Éléments et contours d'un dialogue judéo-protestant





C’est l'histoire d’un naufragé, seul sur une île déserte, qui se met à édifier trois synagogues. Quand arrive enfin du secours, on lui demande pourquoi trois synagogues alors qu'il est seul ! Et le naufragé de répondre : «  Il y a celle où je vais chaque shabbat, celle que je ne fréquente pas, et celle où je ne mettrai jamais les pieds ». L’histoire fonctionnerait tout aussi bien si le naufragé était protestant, et les synagogues des temples : la réponse du naufragé protestant serait analogue à celle du naufragé juif. On mesure donc la gageure qu'a été, pour les membres de l’équipe de l'EPUdF, de reprendre le défi proposé par la Commission de la FPF pour les relations avec le judaïsme aux Églises membres : mener une réflexion sur « foi protestante et judaïsme »... Approche protestante plurielle d'un judaïsme pluriel via des mots eux-mêmes pluriels quant au(x) sens qu'on leur donne. Quelques exemples non-exhaustifs de la difficulté de la démarche :


Judaïsme et judéité

Le judaïsme est une religion. En général on s'accorde sur ce point. Mais quand on entre dans les précisions, cela devient moins simple. Ne serait-ce que parce que cette religion est plurielle (plusieurs synagogues), mais aussi parce qu'elle est concernée par le fait que toute religion engendre une ou plusieurs traditions culturelles. Le processus peut éventuellement être inversé, – dans le cas du judaïsme –  : un héritage culturel doté d'une dimension religieuse. Par exemple une synagogue, avant d'être un lieu de culte, religieux, est d’abord un lieu d'étude – sans oublier que la tradition culturelle ne se transmet pas uniquement par des lieux d'études.


Où l'on peut parler de judéité, pas forcément religieuse en nos temps modernes

La judéité (le fait d’appartenir au peuple juif) est distincte du judaïsme (le fait de pratiquer la religion juive) ? Cela a malheureusement conduit à des dérives redoutables dans l'histoire, lorsque la judéité a été désignée comme un phénomène biologique, une «race». Cela a laissé sa trace dans le vocable «antisémitisme», tout comme cela laisse sa trace dans le vocable «racisme» en général, où il apparaît que la haine de l'autre engendre le fantasme de sa haine. Le racisme s'en prend à un ou plusieurs pans de l'humanité classée en races ; l'antisémitisme s'y spécifie en faisant des juifs une de ces «races», et plus précisément, dans sa naissance historique, la présence d'une «race» dite «sémite» en Europe. (Derrière cela, l’évolution du concept de «races», qui n'a pas toujours eu la lourde connotation qu'il a prise, malgré des ambiguïtés qui ont traversé toute l'époque moderne, y compris parfois chez ceux qui en ont été victimes).

Reconnaissant l'absurdité de ce qui fut pourtant très répandu, notons qu'au-delà de la notion intenable de «races», apparaît la distinction entre tenants d'une religion, où juif s’écrit donc avec une minuscule, et peuple, notion revendiquée par plusieurs, où l'on pourrait avoir à opter pour écrire Juif avec une majuscule (par ex. A. Finkielkraut). Le contexte religieux français de notre dialogue nous mènera ici à opter pour la minuscule, où la tradition culturelle – celle de la judéité – est perçue comme relevant de la périphérie éventuellement non-religieuse d'une réalité d’abord religieuse, à l'instar des autres religions en France.

La judéité, réalité culturelle, pas forcément « religieuse » donc, est, concernant la tradition juive, éventuellement liée (ou pas, ou plus) à une terre. Et l'on pense ipso facto à Israël bien sûr, d’abord comme terre lieu d'enracinement historique du judaïsme et de la judéité, comme lieu référentiel liturgique, mais aussi depuis 1948 comme réalité politique et étatique.


Israël et la terre

Lorsqu'on parle d'Israël, on entend soit «la terre d'Israël», soit «le peuple d'Israël», soit «la figure biblique d’Israël» voire, par une appropriation de certains Psaumes dans les liturgies d’Églises, «le peuple chrétien», éventuellement «la petite minorité» protestante se considérant elle-même comme le reste fidèle !

Autant de significations superposées d'un même mot dont les racines plongent dans la figure d'un personnage biblique, Jacob/Israël, que les textes bibliques donnent comme l'héritier, lui et ses descendants, d'une terre reçue de l'aïeul biblique Abraham.

Une terre que la centralisation cultuelle mise en œuvre dans la tradition biblique référera à la capitale de la Judée, Jérusalem, élément notoire de l'espérance dite dans la liturgie juive : «l'an prochain à Jérusalem».

Si d'aucuns font de cet élément liturgique central une lecture strictement «spirituelle», désignant au bout du compte la Jérusalem d'un futur indéterminé – retenue aussi par la tradition chrétienne dans la notion de «Jérusalem céleste» –, de nombreux juifs ancrent actuellement cette espérance dans la réalité géographique.

Lorsque l'antisémitisme européen fait envisager, depuis le XIXème siècle et le début du XXème siècle, la possibilité de la création d'un «État des juifs», selon le titre de l'ouvrage de Th. Herzl, cet État potentiel n'est pas encore situé géographiquement. Le recoupement avec le passé historique et la tradition liturgique conduiront Th. Herzl, pionnier de ce qui sera le sionisme, à envisager la création de cet État autour de Jérusalem et du mont Sion.

La pluralité de sens qu'a pris depuis le mot « sionisme » a complexifié encore les rapports des chrétiens avec les juifs, et notamment depuis la prise de contrôle des territoires palestiniens en 1967, les protestants s'y sont divisés.

Et quand on sait que l'ancien antisémitisme a parfois tendance à revêtir les oripeaux de l'«antisionisme», non-défini, pour... rénover son discours, on mesure le péril qu'il y a à s'embarquer dans tel ou tel aspect d'une critique de la politique israélienne... où le protestantisme français joue souvent la prudence, averti du risque de cautionner un nouveau visage d'un antisémitisme qu'il a majoritairement combattu aussi bien dans l'affaire Dreyfus que dans ses prises de position durant la seconde guerre mondiale. Prudence que regrettent parfois ceux d'entre les protestants qui souhaiteraient quand même être critiques, à l'instar de certains juifs français, envers tel ou tel aspect de la politique israélienne à l'égard des Palestiniens. Reste que, quelles que soient les positions adoptées, selon les courants, le protestantisme français s'accorde à soutenir la légitimité définitive de l'existence de l’État d'Israël. Cela quels que soient les positionnements quant au référent biblique légitimant pour certains l'existence de l’État moderne d'Israël. Au cœur de cette complexité et de l'éventail de cet accord général, la référence liturgique juive à Jérusalem pourrait rester la pierre d'angle. Ce qui pose la question du type de lecture que les uns et les autres font de la Bible...


Bible hébraïque et Ancien Testament

Il est assez commun de considérer « Ancien Testament » comme le nom chrétien pour la Bible hébraïque, au point que certains lecteurs de ces lignes pourront être surpris de voir interroger ici ce «constat».

Or, il n’y a pas équivalence entre les deux vocables, même pour les protestants qui ont pourtant les mêmes livres que ceux de la Bible hébraïque pour leur Ancien Testament.

Parler d'Ancien Testament suppose ipso facto un Nouveau Testament, qui n'existait pas à l'époque de Jésus et de la première génération de chrétiens. Ainsi dans les Évangiles, Jésus parle de : La Loi, les Prophètes et les Psaumes (premier livre des Écrits), bref, le Tanakh, corpus qui se suffit à lui-même, et dont la Torah est le cœur, cœur d'un ensemble concentrique dont le deuxième cercle est Les Prophètes et le troisième Les Écrits, qui se termine par le livre des Chroniques. Un autre ordre est donné par la Bible des Septante (traduction grecque, dotée de livres supplémentaires, de la Bible hébraïque), un ordre «linéaire», présenté comme «historique» et se terminant par le Daniel grec, marquant une ouverture universaliste. L'Ancien Testament chrétien, protestant inclus, reprend cette présentation, à une autre fin toutefois. Les livres de la Bible hébraïque sont rangés dans les Bibles protestantes traditionnelles dans un ordre différent de celui de la Septante. Il se termine avec le livre du prophète Malachie, annonçant la venue d’Élie en lequel le Nouveau Testament reconnaît Jean le Baptiste (sur lequel commence le Nouveau Testament), précurseur de Jésus, qui devient donc la clef de lecture du livre qui l’annonce, l'Ancien Testament. La christologie est l'élément clef des Bibles chrétiennes, protestantes incluses.

Il va sans dire que ce n'est pas le propos de la Bible hébraïque !

Lire la Bible avec le Christ comme clef de lecture au cœur des cercles de la Bible hébraïque revient à faire de celle-ci un Ancien Testament, même lorsque les Bibles chrétiennes – comme la TOB – ont adopté l'ordre hébraïque pour ce qu’elles continuent à appeler « Ancien Testament »


Christologie et conséquences

L'histoire biblique, en christianisme, débouche sur le Christ - pour une relecture qui part du Christ. En christologie paulinienne et johannique (qui ne sont pas étrangères à certains courants du judaïsme de l'époque — cf. Daniel Boyarin, Le Christ juif, éd. du Cerf), il est même explicite que cela remonte avant la fondation du monde.

La question est alors de savoir de quelle façon on le comprend. En quoi cette centralité de la christologie affecte-t-elle les relations chrétiennes (protestantes incluses) avec le monde non-chrétien, et le monde juif notamment.

Dans les traditions protestantes, deux compréhensions de la centralité du Christ dans l'histoire du monde « créé par Dieu par et pour le Christ » (Col 1) – et dans l'histoire du salut, se sont mises en place. Ces deux compréhensions correspondent aux deux tendances de la christologie des grands conciles : tendance Concile d’Éphèse (431), tendance concile de Chalcédoine (451). Très schématiquement, dans la lignée du Concile d’Éphèse, la théologie luthérienne a insisté sur la présence «corporelle» de la divinité en Jésus-Christ, tandis que, dans la lignée du Concile de Chalcédoine, la théologie réformée a insisté sur l'idée qu'au moment même où la divinité s'incarne en Jésus-Christ, elle reste divinité qui le déborde infiniment.

Ce qui a pour conséquence dans la première approche, la nécessité d’une conversion explicite au Christ pour être au bénéfice du salut, alors que, dans la seconde approche, peut s'ouvrir l'idée que Jésus-Christ manifeste une présence du divin qui « déborde » sa présence explicite en Christ.

Cette analyse reste certes schématique. Cependant, la première approche n'est sans doute pas étrangère à l'attitude de Martin Luther à l’égard des juifs. Très ouvert dans un premier temps comme en témoigne son traité Que Jésus-Christ est né juif, dans lequel il exprime son espérance de la conversion des juifs au christianisme, Martin Luther ne constatant pas de démarche de conversion a opéré ensuite un revirement catastrophique contre les juifs.

La seconde approche insiste sur l'idée que la divinité ne se réduit pas à sa présence dans l’Incarnation en Jésus. Elle ouvre sur un «doute» favorable quant à la possibilité d’un salut en dehors de la foi en Jésus. Il ne s’agit pas pour autant de la théorie des «chrétiens anonymes» de Karl Rahner, selon laquelle en bref, le Christ étant la Parole divine incarnée, quiconque s'approche de la vérité divine en devient «chrétien anonyme». Il ne s'agit pas non plus de la « voie spécifique » juive pour accéder au salut, telle qu’exprimée dans la Concorde de Leuenberg. Mais, sans conversion explicite au Christ, peut se mettre en place et s'ouvrir un dialogue serein, notamment avec les juifs – pour lesquels cette question chrétienne du salut individuel n'est pas une préoccupation mais plutôt une inquiétude : voir les chrétiens insister pour que les juifs deviennent chrétiens à leur tour, réactivant la blessure juive des conversions forcées et les amertumes chrétiennes, parfois violentes comme chez Luther, devant leur échec.


Après la Shoah

Au cœur de l'Europe, l’inconcevable a eu lieu, changeant irrémédiablement la face du monde et la compréhension que nous en avons. Le génocide des juifs a plongé l'Europe dans une crise morale sans précédent, dans une crise de conscience dont le sentiment de culpabilité persiste.

Il n'est pas jusqu'à la théologie qui n'en ait été bouleversée, comme en témoigne par son titre explicite l'essai de Hans Jonas : Le Concept de Dieu après Auschwitz.

La théologie s’est réinterrogée sur la nature des relations entre juifs et chrétiens, et donc aussi entre juifs et protestants. Des remises en question radicales, parfois déchirantes, ont été nécessaires à l’égard de théologies chrétiennes soit ouvertement méprisantes à l’égard du judaïsme, soit qui n'avaient pas eu la lucidité de prévenir ce qui allait advenir.

Une ouverture existait toutefois depuis le XVIème siècle, dans la lignée de Calvin qui considérait que l'Alliance avec les Patriarches et Israël n'a jamais été abolie. Ces lectures positives du rôle d'Israël dans le protestantisme, expliquent en partie l'attitude d'accueil des juifs durant la seconde guerre mondiale.

Le travail théologique entre protestants et juifs se poursuit, souvent dans un dialogue constructif, et notamment grâce aux groupes de l'Amitié judéo-chrétienne fondée juste après-guerre à l’initiative de Jules Isaac.


Les lectures du Nouveau Testament et la prédication chrétienne

La nouvelle version de la TOB témoigne de l'effort non achevé à accomplir, dans la lecture du Nouveau Testament et dans la prédication chrétienne.

Par exemple, cette révision de la TOB a choisi en plusieurs endroits de traduire, en fonction du contexte, ioudaioi par Judéens (renvoyant à l'entité politico-géographique de la Judée) plutôt que juifs (renvoyant à la religion). Cette distinction aide à désamorcer la tendance à considérer que le Nouveau Testament est porteur d'un conflit entre deux religions, judaïsme et christianisme (alors que le christianisme n'existait pas encore !). On redécouvre aussi que le judaïsme néo-testamentaire est pluriel, avec aux moins trois zones d’enracinement géographique, Judée, Galilée, Samarie, d'obédiences diverses et parfois conflictuelles.

Au delà de cet aspect, une lecture respectueuse du Nouveau Testament doit avoir constamment à l'esprit que le christianisme comme religion constituée n'existe pas encore. Au plus est-on en présence d'un courant supplémentaire au sein d'un judaïsme déjà pluriel – un courant qui, en outre, n'a pas forcément toujours conscience de sa particularité ! Il est prudent de percevoir que les querelles retranscrites dans le Nouveau Testament relèvent de querelles au sein d’une même famille, ou sont du même ordre que les interpellations prophétiques qui traversent la Bible hébraïque.

Il n'est pas question dans le Nouveau Testament – ce serait parfaitement anachronique – de remettre en question le judaïsme en tant que tel, avec ses systèmes de pensée ou d'action. Savoir cela doit induire une vigilance constante sur des habitudes de lecture héritées des siècles passés, consistant à revendiquer un passage de relais judaïsme-christianisme en forme de substitution d'alliance.

L’héritage calvinien, à considérer attentivement, est que l’Alliance avec les Pères bibliques n'a jamais été abrogée et que le christianisme est sous cet angle simplement bénéficiaire d'un élargissement de l’Alliance aux nations.

En plusieurs points — les exemples ci-dessus et d’autres — l'humilité, et une sorte d'ascèse herméneutique est requise de chacun, et notamment des prédicateurs.


Roland Poupin
in Juifs et protestants, une fraternité exigeante ( éd. Olivétan) – les contours d'un thème



mardi 1 décembre 2015

Vivre la Bible





Sola Scriptura, l’Écriture seule, est un pilier sur lequel s'établit la Réforme du XVIe ; sola fide, par la foi seule, en étant un autre. Deux piliers essentiels de la Réforme, parmi d'autres, dont cette clef de voûte : Soli Deo Gloria.

1) Le « Sola Scriptura » parle en protestantisme d'une Écriture dans la langue du peuple, donc traduite, par un ou des traducteurs ayant une excellente connaissance des langues bibliques, l'hébreu et le grec (sans compter les quelques passages en araméen). L'immense majorité des chrétiens ne comprenant pas ces langues, le « sola Scriptura » les situe dans une dimension communautaire et historique, au-delà de toute relation solitaire au texte.

Quand la Réforme, pour son « sola Scriptura », opte résolument quant à son Ancien Testament pour les livres de la Bible hébraïque, elle est héritière dans sa traduction de Jérôme, qui lui aussi, pour traduire la Bible en latin, avait opté pour les livres hébraïques – consultant même des rabbins – plutôt que pour la traditionnelle version grecque des Septante (LXX) largement citée dans le Nouveau Testament – comme traduction de la Bible en grec, première version dans une autre langue que l'hébreu. Les Réformateurs et le protestantisme mènent la démarche de Jérôme à son terme, puisque ceux des livres de la LXX que retient et canonise l’Église catholique romaine ne sont pas retenus comme canoniques par le protestantisme, même s'il les juge « utiles ». Outre le vis-à-vis ecclésial, le protestantisme se donne ipso facto un autre vis-à-vis, le vis-à-vis juif. Cela a pris une nouvelle portée avec les découvertes contemporaines, à Qumran notamment : les livres de la Bible hébraïque nous placent en vis-à-vis d'Israël tel qu'il continue de vivre dans la tradition rabbinique et pharisienne après la naissance de l’Église chrétienne.

Notons aussi à ce sujet le même niveau d’inspiration reconnu pour les livres de l'Ancien Testament et ceux du Nouveau, qui s'exprime en protestantisme dans l'égalité liturgique : on ne se lève par pour la lecture des Évangiles. On écoute la lecture de tous les livres assis, la position assise étant celle de l'écoute d'un enseignement – la station debout étant celle de la position liturgique normale d'une Église en exode.

La lecture des Évangiles doit de la sorte se faire en regard positif permanent de la Bible hébraïque et d'Israël, veillant à éviter les contresens qui verraient dans les tensions internes au Nouveau Testament celles d'un conflit judéo-chrétien, alors que le christianisme comme religion n'existe pas encore !

Matthieu 5, 18-19 : « je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé. — Celui donc qui supprimera l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire de même, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux ; mais celui qui les observera, et qui enseignera à les observer, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. »

C’est ce qui suit le propos de Jésus disant « ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Matthieu 5, 17).

Où il apparaît qu’accomplir la Loi ne l’abolit pas ! Contrairement à la tentation commune qui revient à considérer que Jésus ayant accompli la Loi, il n’y aurait plus à l’observer ! Si l’on ne réintroduit pas subrepticement l’idée d’abolition de fait sous le terme d’accomplissement, si donc on lit le propos jusqu’au bout, se pose une question : « Quid de l’observance chrétienne de la Loi de Moïse ? »


2) La réponse la plus connue passe par le Décalogue, qui semble conservé, via une lecture de la Bible hébraïque orientée vers la venue du Christ. « Schématiquement, la lecture chrétienne traditionnelle de l’Ancien Testament […] prend une forme linéaire. On lit l’Ancien Testament en partant de la création et en passant par la "chute", en direction de la naissance du Messie, de Jésus. L’Ancien Testament relate l’histoire de Dieu et de sa créature, laquelle débouche sur la venue du Sauveur. Tout aussi schématiquement, la lecture juive de la Bible hébraïque s’organise de façon concentrique : au centre se trouve la loi ; le corpus prophétique [qui comprend une partie des livres historiques des chrétiens] commente la loi ; et les écrits tels les Psaumes s’orientent eux aussi sur la loi, quoique de façon moins immédiate. La Bible hébraïque, dans cette approche, ne mène pas vers autre chose, ne débouche pas sur une réalité qui est en dehors d’elle […]. Là où le judaïsme reconnaît le centre de l’écriture, il n’y a qu’un blanc pour le christianisme. Tout au plus reconnaît-on l’existence des dix commandements, qu’on neutralise toutefois en les assimilant à une sorte de loi naturelle. » (Jan Joosten, professeur d'Ancien Testament à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg — in Actes du colloque « Foi protestante et judaïsme », organisé par la FPF à Paris les 1er et 2 octobre 2010. Cf. Foi et Vie déc. 2011, p. 9.)

Vraiment observés ces « dix commandements, qu’on neutralise toutefois en les assimilant à une sorte de loi naturelle » ? Où ils cessent d’ouvrir une porte sur les 613 commandements, passés dès lors, eux, pour une large part, à la trappe.


3) L’observance chrétienne du Décalogue en soi s’avère problématique dès qu’on l’aborde de façon concrète. Quid d’une observance chrétienne du Shabbath, par exemple ?

La difficulté apparaît à travers le débat qui s’est levé dans certains courants du protestantisme anglo-saxon, où l’on s’est attaché à observer le dimanche comme un Shabbath, ce que le dimanche n’est pas. Le débat a débouché pour certains sur la décision d’observer vraiment le Shabbath, et cela le jour du Shabbath, le samedi. Ceux-là sont appelés parfois « sabbatistes ». Les plus connus en France de ce courant sont les adventistes du 7e jour, aujourd’hui membres de la Fédération protestante de France.

L’option « sabbatiste » ne l’a cependant pas majoritairement emporté. L’approche la plus commune consistant à retenir l’aspect moral et social du Shabbath — qui existe aussi, souligné par le Deutéronome (5, 14-15), mais qui ne résume pas tout le commandement et sa dimension cérémonielle, soulignée par l’Exode (20, 11), de signe de Dieu.

On pourrait aussi mentionner le commandement sur les représentations (« tu ne te feras pas d’images cultuelles »), que plusieurs courants du christianisme historique (courants majoritaires) estiment ne pas concerner les chrétiens et leurs images du Christ et des personnages historiques de la tradition.

Quid donc de l’observance du Décalogue, en tout cas en son aspect cérémoniel. — Je fais par ce mot allusion à des distinctions qui vont apparaître (je vais y venir) entre différents plans (moral et judiciaire) de signification des commandements, outre leur plan cérémoniel, proprement religieux, qui manifestement est peu retenu par le christianisme.



Options chrétiennes


4) La loi de Noé : la question de l’observance de la Loi, au-delà de l’injonction de Jésus, que l’on retrouve dans l’envoi des disciples (Mt 28) aux nations s’est posée concrètement lors de la confrontation aux nations, voyant une entrée en masse de non-juifs dans l’Eglise d’abord juive des Apôtres. Cette question a été résolue dans un premier temps en requerrant des païens qu’ils observent la loi noachide — loi de Noé —, une option classique pour les païens s’approchant du judaïsme.

Actes 15, 19-21 : « je suis d’avis, dit Jacques, qu’on ne crée pas des difficultés à ceux des païens qui se convertissent à Dieu, mais qu’on leur écrive de s’abstenir des souillures des idoles, de l’impudicité, des animaux étouffés et du sang. Car, depuis bien des générations, Moïse a dans chaque ville des gens qui le prêchent, puisqu’on le lit tous les jours de sabbat dans les synagogues. » — Une Église juive accueillant des « craignant Dieu » non-juifs appelés à observer la loi noachide, loi de Noé, relevant de la judaïté, puisque la loi de Noé est dans la Bible juive (Genèse 9).

C’est aussi la position de Paul, malgré les nuances qu’il introduit. Mais dès lors apparaît la distance qui va se creuser entre les chrétiens issus des nations et la Loi de Moïse — question qui va devenir le porte-à-faux que j’ai évoqué au jour où l’Église va, de plus en plus, estimer avoir remplacé Israël, et va donc juger observer la Loi sous la forme du Décalogue (d’une façon dont a vu la complexité de sa compréhension).


5) On est alors passé à une universalité chrétienne « autonome ». Séparée d’Israël et du cérémonial hébraïque. De nouvelles cérémonies se mettent en place, un cycle liturgique axé sur la vie du Christ, avec des changements de calendrier par rapport à Israël, variables selon les Églises et les lieux de leur développement.

C’est un fruit de la mission parmi les nations. La nation dominante dans la sphère méditerranéenne est Rome et son Empire. Les rites romains domineront le christianisme, qui ensuite se diversifiera encore, réformera ses rites, parfois à l’aune de la Bible hébraïque.

On est de toute façon dans une autre perspective religieuse. Le rapport à la Bible est largement de l’ordre de la transposition. Le texte biblique renvoie à une réalité éternelle, ce qui est dans le texte lui-même — cf. Exode 25, 40 : « Regarde, et fais d’après le modèle qui t’est montré sur la montagne ». Cf. la lecture qu’en fait l’Épître parlant du culte biblique comme « image et ombre des choses célestes, selon que Moïse en fut divinement averti lorsqu’il allait construire le tabernacle : Aie soin, lui fut-il dit, de faire tout d’après le modèle qui t’a été montré sur la montagne. » (Hébreux 8, 5)

Le sens de la lecture de l’Épître aux Hébreux — inspirée par Philon d’Alexandrie, théologien juif contemporain de Jésus, qui souligne pour son dialogue avec les Grecs la signification spirituelle des rites juifs — peut ouvrir sur la possibilité d’expressions cérémonielles diverses (allant au-delà de Philon) ; on le mènera souvent plus loin encore, donnant le rituel chrétien comme l’expression adéquate de la réalité céleste (ce que l’Épître ne dit pas).


6) La question de l’observance de Loi demeure, qui a débouché sur une distinction, formalisée par Calvin et dans sa lignée, en trois aspects de la Loi : l’aspect moral, l’aspect cérémoniel et l’aspect judiciaire.

L’aspect judiciaire est cet aspect de la Loi qui, selon sa primauté par rapport aux pouvoirs, se concrétise dans une vie de la Cité gérée de façon jurisprudentielle, donc souple. Il en ressort que cet aspect est perçu, quant à la lettre de la Loi, comme correspondant à des temps et à une culture donnée : par exemple les formes de gouvernements, qui sont variables selon les lieux.

On en dira la même chose quant à l’aspect cérémoniel (les cérémonies religieuses de la Loi) perçu lui aussi, quant à sa lettre, comme correspondant à un temps et à une culture donnée. Dans cette perspective la pratique varie selon les lieux, les temps et les circonstances. Ainsi, quant à l’aspect cérémoniel, on ne pratique pas aujourd’hui de sacrifices d’animaux dans le Temple de Jérusalem — de toute façon détruit (sacrifices correspondant pourtant à des mitsvoth cérémonielles). Une perspective calviniste considère que cela vaut pour tout commandement en son aspect cérémoniel — lié à des temps, des lieux, des cultures. À l’instar de l’aspect judiciaire.

En revanche l’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection, n’est pas sujet aux variations culturelles, même si son application s’adapte aux circonstances. L’aspect moral peut être considéré comme se déployant en vertus.

Je reviendrai sur tout cela, notamment pour dire que ces distinctions n’entraînent l’abolition d’aucun des aspects, d’autant que les trois sont strictement imbriqués, pouvant se retrouver dans le même commandement : on a vu que le Shabbath est en soi cérémoniel. Mais il comporte aussi une dimension sociale (relevant de l’aspect judiciaire) et une dimension morale (comme respect d’autrui, qui a droit au repos). L’aspect cérémoniel n’en reste pas moins premier, ce qui, on va le voir, implique la pérennité d’Israël.



Universalisme éthique et fondement cérémoniel


7) La dimension morale de la Loi se déploie dans le christianisme tout simplement en vertus, rejoignant la morale naturelle et contribuant à l’établissement d’une morale universelle commune, une éthique partagée par juifs et nations. Une seule citation pour illustrer cela : Paul aux Galates (5, 22) : « le fruit de l’Esprit, c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bénignité, la fidélité », écrit-il. Voilà tout simplement des vertus communes, que l’on retrouve chez les stoïciens, les aristotéliciens, etc. comme vertus dites naturelles — avec cependant cette caractéristique, dans la perspective chrétienne, qui est d’être enracinées dans une nature perçue, en regard de la Torah, comme création, qui trouve écho jusque dans le Décalogue sous son angle cérémoniel : « en six jours le Seigneur a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s’est reposé le septième jour : c’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du repos et l’a sanctifié » (Exode 20, 11).

La loi naturelle est « corrigée » — en regard de la Loi biblique : Ainsi, pour Thomas d’Aquin, grand théoricien de la philosophie des vertus, les vertus humaines s'enracinent dans les vertus théologales (foi, espérance et charité — 1 Corinthiens 13), qui, pour lui, les parfont : les trois vertus théologales complètent le groupe de quatre vertus cardinales (prudence, tempérance, force, justice), naturelles. Et toutes se déploient dans les vertus les plus diverses, toutes étant connexes.

Mais qu’est-ce qui dessine cet espace théologal sinon la dimension cérémonielle, puisque les vertus théologales, selon le même Thomas, « disposent l'homme à vivre en relation avec Dieu ». Or, nous voilà au cœur du cérémonial juif — nous venons de lire Exode 20, 11 — que les chrétiens n’observent pas.


8) Ce qui nous conduit à postuler la nécessité de la pérennité d’Israël pour que l’Église, les Églises, ne soient pas bancales !

L’aspect cérémoniel de la Loi s’avère en effet premier, comme fondement céleste. C’est le sens du culte : dessiner la dimension verticale de nos vies, la dimension de la relation avec Dieu, qui occupe fortement les quatre premières paroles du Décalogue. Car la dimension verticale de nos vies se dessine pour nous via des rites et des cérémonies, que ces rites soient chrétiens, juifs, ou autres. Il se trouve que pour Jésus, ce sont des rites juifs, ceux de la Torah. C’est aussi le cas pour le Nouveau Testament et le rituel chrétien qui en est issu.

Alors quid ? Eh bien, l’observance de la Loi de Moïse pour les chrétiens est le fait d’Israël ! Quelle observance chrétienne de la Loi de Moïse ? L’observance juive vivante. Le christianisme des nations sans Israël est tout simplement bancal. Cela nous conduit à réaliser la nature relationnelle du christianisme : sa nature est d’être en relation, en vis-à-vis d’Israël.


9) Calvin distingue trois usages de la Loi : l’usage pédagogique, l’usage politique et l’usage normatif.

Trois usages :
- Selon son usage pédagogique, la Loi produit en l’homme la conscience de son incapacité à accomplir ce qu’elle prescrit ou défend (exemple classique : l’interdit de la convoitise — qui peut dire être exempt de convoitise ? Son interdiction est pourtant un précepte du décalogue). Sous cet angle, la Loi sert de « pédagogue » pour nous conduire à recourir à la grâce de Dieu: reconnaissant n’être pas à la hauteur de ses exigences, j’en appelle à Dieu. Où l’on retrouve le « près de toi » (Deutéronome 30, 14) que Paul lira comme référant à la proximité, la présence, de la parole de Dieu en Jésus.
- Selon son usage politique ou civil, la Loi a pour but de restreindre le mal dans la Cité et de promouvoir la justice. Elle fournit des principes, qui s’appliquent de façon analogique selon les temps et les lieux dans la vie civile et politique.
- Selon son troisième usage, la Loi devient chemin de libération. Notre libération est effectivement mise en œuvre par ce que produit en nous l’injonction de la Loi. Exemple : le commandement donné à Abraham, ou au peuple libéré de l’esclavage : « quitte ton pays », « sors de l’esclavage ». La libération qui est dans le recours à la grâce ne produit son effet que si elle reçue et donc mise en œuvre.

La liberté donnée à la foi seule qui reçoit la grâce — ce seul recours, selon l’usage pédagogique de la Loi — ; cette liberté ne devient effective que lorsque l’exigence de la Loi donnée comme norme suscite, parce qu’elle est entendue, la mise en route obéissante.

Où il faut répondre à une question que la fidélité selon la pratique juive pourrait voir apparaître : mais on ne sache pas que les chrétiens protestants, et calvinistes, pratiquent les mitsvoth — les 613 commandements de la Loi biblique — ?! Pas plus que les autres chrétiens…

Où il faut reparler, à côté de trois usages de la Loi, de trois aspects de la Loi : l’aspect moral, l’aspect cérémoniel et l’aspect judiciaire : on peut dire que l'aspect moral devient le fondement d'une transposition analogique pour une observance intégrale de la loi mais de façon transposée, donc, via une reconduction méditée à son fondement éternel dont les textes sont l’expression temporelle, dans un temps donné, un enracinement donné, dont Israël demeure le témoin aussi longtemps que subsistent le ciel et la terre.

Le troisième usage de la Loi, l’usage normatif, apparaît alors comme mise en œuvre de son aspect moral, comme injonction libératrice.

Où l’on retrouve les préceptes comme « lève-toi et marche » commandement adressé par Pierre au paralytique ; « sors de ta tombe » ; commandement adressé par Jésus à Lazare, « va pour toi » (Lekh lekha) commandement adressé par Dieu à Abraham — et « tu choisiras la vie », l’injonction libératrice que nous donne Moïse au Deutéronome.

Telle est alors la parole de Dieu donnée comme Loi, parole libératrice, créatrice d’impossible. C’est là le Dieu créateur de la Bible — et non pas une hypothèse en concurrence avec les laboratoires de recherche !

C’est devant un Dieu vivant que nous sommes placés… Dieu vivant et vivificateur par la Parole qui nous fonde comme êtres pour la liberté : « Tu choisiras la vie ».


Roland Poupin, pasteur, 30/11/15
SRDJ, Maison diocésaine de Nanterre
« Comment la Bible nous aide-t-elle à vivre ? »