<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: janvier 2015

mardi 27 janvier 2015

"Ô vous tous qui êtes assoiffés"...




Ésaïe 55

1 Ô vous tous qui êtes assoiffés, venez vers les eaux,
même celui qui n’a pas d’argent, venez !
Demandez du grain, et mangez ; venez et buvez !
– sans argent, sans paiement –
du vin et du lait.
2 A quoi bon dépenser
votre argent pour ce qui ne nourrit pas,
votre labeur pour ce qui ne rassasie pas ?
Écoutez donc, écoutez-moi, et mangez ce qui est bon ;
que vous trouviez votre jouissance dans des mets savoureux :
3 tendez l’oreille, venez vers moi,
écoutez et vous vivrez.
Je conclurai avec vous une alliance perpétuelle,
oui, je maintiendrai les bienfaits de David.
4 Voici : j’avais fait de lui un témoin pour les clans,
un chef et une autorité pour les populations.
5 Voici : une nation que tu ne connais pas,
tu l’appelleras,
et une nation qui ne te connaît pas courra vers toi,
du fait que le SEIGNEUR est ton Dieu,
oui, à cause du Saint d’Israël, qui t’a donné sa splendeur.
6 Recherchez le SEIGNEUR puisqu’il se laisse trouver,
appelez-le, puisqu’il est proche.
7 Que le méchant abandonne son chemin,
et l’homme malfaisant, ses pensées.
Qu’il retourne vers le SEIGNEUR,
qui lui manifestera sa tendresse,
vers notre Dieu,
qui pardonne abondamment.
8 C’est que vos pensées ne sont pas mes pensées
et mes chemins ne sont pas vos chemins
– oracle du SEIGNEUR.
9 C’est que les cieux sont hauts, par rapport à la terre :
ainsi mes chemins sont hauts, par rapport à vos chemins,
et mes pensées, par rapport à vos pensées.
10 C’est que, comme descend la pluie
ou la neige, du haut des cieux,
et comme elle ne retourne pas là-haut
sans avoir saturé la terre,
sans l’avoir fait enfanter et bourgeonner,
sans avoir donné semence au semeur
et nourriture à celui qui mange,
11 ainsi se comporte ma parole
du moment qu’elle sort de ma bouche :
elle ne retourne pas vers moi sans résultat,
sans avoir exécuté ce qui me plaît
et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée.
12 C’est en effet dans la jubilation que vous sortirez,
et dans la paix que vous serez entraînés.
Sur votre passage, montagnes et collines
exploseront en acclamations,
et tous les arbres de la campagne
battront des mains.
13 Au lieu de la ronce croîtra le genévrier,
au lieu de l’ortie croîtra le myrte,
cela constituera pour le SEIGNEUR une renommée,
un signe perpétuel qui ne sera jamais retranché.

*

« Ainsi se comporte ma parole du moment qu’elle sort de ma bouche : elle ne retourne pas vers moi sans résultat ». Et au bout du compte, un résultat heureux : joie, paix, acclamations, réconciliation de la création entière — à commencer par celle d’Israël, puis des nations. Où il est bien question d’œcuménisme. Mais d'un œcuménisme qui se fonde dans son essence spirituelle, dans une Parole donnée de l'au-delà du temps. Ce qui contraint notre foi à recevoir le texte d'Ésaïe en entier comme unité littéraire. Quels que soient les malheurs concrets que traverse le peuple à ce moment-là, le texte passe d'emblée à leur enracinement éternel, à ce qu'ils se situent en vis-à-vis d'une promesse de consolation éternelle. Face à un vis-à-vis qui crée une soif et une faim dont l'assouvissement ne s'achète pas, une soif et une faim que rien ne peut assouvir en fait, sinon Celui dont cette soif dit le manque.

Une soif et une faim qui s'inscrivent dans une mystique nuptiale et amoureuse. « Le ch. 55 prolonge le ch. 54 » écrit une note de la TOB 2010 (sic). Cela peut sembler être une tautologie. Mais il s’agit au ch. 55 d'une application au peuple, concrétisation de ce que proclame le ch. 54 sur Jérusalem. J'ajoute que comme le ch. 55 prolonge le ch. 54, le ch. 54 prolonge le ch. 53, sur le serviteur souffrant, qui n'est jamais nommé : on ne sait pas qui c'est, ce qui à être attentif, renvoie à celui qui se cache derrière, le Dieu dont on ne connaît que ce qu'il dévoile en le cachant, le Dieu que nul n'a jamais vu, au point que celui qui le fait connaître, enseigne qu'il nous est avantageux qu'il s'en aille, sans quoi l'Esprit saint, présence intime de ce Dieu, ne viendra pas ! Cette présence intime de l'Esprit saint que les mystiques ont assimilé à un mariage spirituel...

Une présence intime qui fonde toute unité, une présence intime dont Ésaïe nous dit le manque, qui ne peut se fonder que dans une union avec Dieu. Je cite Hadewijch d’Anvers, une béguine, mystique du Bas Moyen Âge :

Quand l’Amour se refuse,
Quand on ne peut jouir
De ce que l’on désire,
Notre faim croît à l’infini.
Mais il faut trouver la joie en ses fureurs,
Lui qui survient de jour comme de nuit :
Le plus total abandon est la seule
Ressource qui subsiste avec lui.

Où nous sommes au cœur du ch. 55 d'Ésaïe. Qui, rattaché au ch. 54 se trouve proche de la mystique amoureuse dans le rapport avec Dieu. Ainsi le ch. 54 donne Dieu comme époux de Jérusalem, son Baal (au v. 5), relecture mystique et déplacement à un tout autre plan des cultes de Canaan. Déplacement aussi de l'amour au sens le plus commun, amoureux du terme. Cette notion, eros, non nommée dans la Bible, quand la LXX ou le Nouveau Testament ont préféré un autre mot, agapè, notion non nommée, trop intime, mais qui affleure, dans des textes comme celui d'Ésaïe, avec une dimension d'éternité que l’amour pressent et que Dieu accomplit. Cf. ch. 54, v. 10, d'où viennent les paroles de grâce d'une des liturgies protestantes.

Une mystique amoureuse qui est aussi celle du Cantique des Cantiques, du livre du prophète Osée, mais aussi sans doute du récit sur la Samaritaine, et bien sûr de Paul aux Éphésiens, et ensuite du père de l’Église Origène et de ses héritiers dans son commentaire du Cantique, de Bernard de Clairvaux à Luther en passant par les mystiques de la fin du Moyen Âge.

Hadewijch d’Anvers à nouveau :

Tourments du délaissement. Espoirs déçus. Doutes. Cet instant où l’être s’embrase ne reviendra-t-il donc jamais ?

Telle est l'expérience des assoiffés de Dieu, d'Ésaïe à Hadewijch d’Anvers :

L’Amour est si violent, ses exigences si excessives, qu’il semble outrepasser les possibilités humaines. On ne peut penser à lui sans frayeur. Alors on se rabat sur des plaisirs d’un accès plus facile, moins onéreux. Mais le désir se réanime, la chevauchée reprend. Survient le ravissement de l’extase. Toutefois, sans que rien ne l’annonce, c’est soudain la rupture, la chute, le retour à des heures, des jours atones. Comment vivre ce brutal passage du plus intense à la dépossession ?
Déception. Mélancolie. Solitude.

Ce que l’amour a de plus beau, ce sont ses violences
Son abîme insondable est sa forme la plus belle
Se perdre en lui, c’est atteindre le but
Être affamé de Lui, c’est se nourrir et se délecter
L’inquiétude d’amour est un état sûr
Sa blessure la plus grave est un baume souverain
Languir de lui est notre vigueur
C’est en s’éclipsant qu’il se fait découvrir
S’il fait souffrir, il donne pure santé
S’il se cache, il nous dévoile ses secrets
C’est en se refusant qu’il se livre
Il est sans rime ni raison et c’est sa poésie
En nous captivant, il nous libère
Ses coups les plus durs sont ses plus douces consolations
S’il nous prend tout, quel bénéfice !
C’est lorsqu’il s’en va qu’il nous est le plus proche
Son silence le plus profond est son chant le plus haut
Sa pire colère est sa plus gracieuse récompense
Sa menace nous rassure
Et sa tristesse console de tous les chagrins :
Ne rien avoir, c’est sa richesse inépuisable.

Il en est ainsi de ceux qui aiment : ils ne peuvent jouir de l’Amour ni s’en passer, c’est pourquoi ils se consument et dépérissent.

*

Que Dieu nous donne de dépérir, qu'il crée en nous ce manque, cette soif et cette faim auxquels toutes les richesses ne peuvent rien, y compris les richesses de nos Églises. Ici sans doute, le plus pauvre est-il le plus riche, qui n'a que la gratuité à quémander. Eh bien, en ce manque et en ce seul recours est la clef de notre unité, qui se fonde en notre union promise avec Dieu. Il nous le dit : ma parole ne revient pas à moi sans son effet, son résultat, ensemencer le monde d'une joie qu'il ne devine ni ne conçoit.


RP, Beaulieu, semaine Unité, 27/01/15





mardi 20 janvier 2015

L'hérésie et l'histoire, entre Irénée et Origène





Irénée (v. 130 – v. 202) est un théologien de l'histoire. L'histoire est comme la pierre d'angle de son investissement contre les hérésies — tandis qu'elle est un échouement de l'éternité pour les mouvements gnostiques qu'il combat (dans son Adversus Haereses).

Théologien de l’histoire il n'est pas jusqu'aux ébionites — qu'Irénée décrit, entre deux mouvements gnostiques, comme arrêtés à un point de l’histoire en marche, qui n'entrent dans sa perspective de dénonciation des hérésies par l'histoire, l’œuvre de la Providence divine dans l'histoire (cf. M.-L. Chaieb).

Les « hérésies » primitives gnostiques apparaissent comme christianisme para-historique — faisant un large usage du mythe. C'est là une de leurs caractéristiques dans le christianisme primitif.

Cela dit, il y a au minimum « porosité » entre la gnose (devenue vocable péjoratif, ce que ce mot n'est pas en soi : connaissance !) et la grande Église, même après qu'elle en ait été théoriquement exclue, notamment suite à l’œuvre d'Irénée : l'hérésie devient hérésie quand elle est dénoncée comme telle.

Origène (v. 185 – v. 253) s'inscrit dans cette « porosité » entre gnose et grande Église. À ce titre, il offre comme une mise en regard d'Irénée et nous permet de lire Irénée dans la cosmologie qui est la sienne. Irénée à ne pas lire comme un « historiciste » moderne !

Où il faut mentionner un risque qu'il y a à insister sur l'idée de continuité historique à propos de l’inscription de l’Église dans la suite d'Israël : guette ce qui deviendra la « théologie de la substitution », selon laquelle dans une continuité historique, l’Église aurait été substituée à Israël... Ici l’interrogation que pose Origène vaut toujours d'être entendue. Pas de substitution, mais une relecture transposée, où la réalité historique n'a pas lieu de nier la légitimité de la persistance d'Israël quand une réalité historique en passe de devenir le christianisme est advenue aussi.

Où se pose la question du rapport entre histoire et ce que la théologie de l’Église primitive, dont Irénée, appelle oikonomia, manifestation de l'économie de la grâce qu'entend proclamer le christianisme dans une récapitulation, en grec anakephalaiosis, de la création appelée à entrer dans l'ère nouvelle, l'aion nouveau, du Royaume de Dieu.

*

Excursus cosmologique :

Chaque aion, ou ère, s'inscrit dans une sorte d’étagement qui correspond aux cieux étagés d'alors. De l’Antiquité à la Renaissance, la clef de lecture du monde est donnée, depuis le IVe siècle av. JC dans le système du monde d'Aristote et/ou, depuis le IIe siècle, de Ptolémée (qui est aussi derrière la traduction de la LXX).

Le système de ce monde se déploie ainsi : une terre sphérique (avant Aristote la terre n’est pas encore forcément ronde) à un pôle (au centre), à l’autre pôle le « ciel empyrée » et le « trône de Dieu ». Le « ciel empyrée » est le « dixième ciel » (quand avec les aristotéliciens on va, au-delà des sept cieux classiques, jusqu'à, dix), le Paradis, les autres cieux étant ceux des sept « planètes » — désignant les sept cieux classiques — observables à l’œil nu (Lune, Mercure, Venus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne), plus le ciel des étoiles fixes (le zodiaque) et le ciel du mouvement diurne.

La matière céleste est l’éther (la cinquième essence, la quintessence, matière spirituelle et lumineuse), au-delà des quatre autres « essences » ou éléments : terre, eau, air, feu — matière de notre ici-bas. Ce monde céleste dont la matière est l’éther est mû par les Intelligences célestes, les anges chez Thomas d’Aquin, imitant la perfection de Dieu en imprimant aux sphères leur mouvement circulaire.

Cela est ajusté sur le monde hiérarchique des êtres intelligibles, spirituels. Les hommes en sont l’expression la plus humble, dans la matière, « la poussière », d’où, dans le monde des êtres intelligents, partagé par Dieu et les anges, la caractéristique de la raison, son humilité de réalité humaine : l’être rationnel, l’homme, est obligé de procéder par abstraction là où les êtres immatériels ont une connaissance intuitive, immédiate.

La raison humaine n’en participe par moins du monde intellectuel, à son humble mesure, évoluant, se mouvant dans le monde sensible, le monde sublunaire, quand les anges occupent le monde supra-lunaire, dont la matière parfaite est l’éther. Exempts eux-mêmes de matière, même spirituelle, les anges meuvent le monde supérieur, les orbes célestes, dont certaines sont celles sur lesquelles tournent les corps célestes composés d’éther (les planètes).

Ce monde perdure jusqu’en 1609… Lorsque, dans les années 1609-1610, Galilée braque sa lunette astronomique vers les sphères célestes, il découvre et révèle au monde que celles-ci ne sont pas faites d’éther, mais de la même matière que celle qui compose notre monde, qui se meut au-dessous de la Lune, le monde sublunaire.

Le monde mû les anges est dès lors irrémédiablement ébranlé : cet effondrement du monde aristotélicien est, au sens littéral, un véritable « ébranlement des puissances des cieux ». Le monde va désormais devoir se penser sur un mode autre que celui de l’harmonie géocentrique, avec un Dieu garant de cette harmonie, via éventuellement son représentant, le pape, qui lui-même a été fortement ébranlé par la Réforme.

Suite à Descartes (XVIIe s.) apparaissent d’autres propositions de systèmes du monde que le système aristotélicien sur lequel s’appuyaient aussi les systèmes théologiques. Le pôle central du système nouveau est le sujet : « je pense donc je suis » (formule reprise d’Augustin, mais désormais centrale et fondatrice).

Newton vient à son tour proposer l’alternative de la force gravitationnelle pour expliquer la rotation des planètes mues auparavant, dans le système aristotélicien / ou ptoléméen, par les anges — intelligences célestes, qui gèrent les aionas / siècles, mondes.

Un monde s’est bel et bien écroulé, entraînant des ruptures en matière de connaissance, ruptures épistémologiques qui maintiennent toutefois la logique d’Aristote, logique de non-contradiction, selon un autre cadre, d’autres systèmes.

Le symbole s'est donc effondré, un peu comme à la sortie d'un rêve, celui de Jacob, un rêve dont les symboles, comme pour tout rêve, désignent autre chose que leur littéralité. Symboles d'un inconscient collectif portant la connaissance/ignorance d'un Dieu infiniment autre, au sommet inaccessible de l'échelle de Jacob, et cependant tout proche comme le signifie la présence angélique en ses ascensions et ses descentes... Détachée de l'échelle des astres, l'échelle de Jacob auxquels elle s'était superposée, l'échelle de Jacob n'en reste pas moins posée au sol et touchant « les cieux », signes d'un Dieu infiniment autre. Un Dieu qui, donc, s'intéresse au temps et aux aux hommes qui s'y meuvent !

*

Ce temps, ce monde auquel Dieu s'intéresse ! (« Qu’est-ce que l'homme pour que tu t’intéresses à lui » s'étonnait le Psalmiste — Psaume 8), qui arrive à sa fin, il l'a créé lui aussi par le Fils (Hébreux 1, v. 2) ; ce monde, cet aion, et tous les autres, selon la pluralité des mondes, des temps, des siècles, correspondant aux différents niveaux des cieux — vision que l'on retrouve dans la doxologie finale du Notre Père : « aux siècles des siècles — aux aionas des aionas ».

Le Fils apparaît comme celui par qui Dieu a créé les siècles — aiones —, dont il est aussi héritier, à commencer par les deux mondes que sont celui de ce temps et le siècle — aion — à venir, siècles que sont celui dont on arrive au terme, concrétisé par la destruction du Temple, et le siècle à venir, déjà présent — « le Royaume au milieu de vous » — et encore à venir quant à sa manifestation.

C'est là la manifestation de l'oikonomia de la grâce comme révélation du « mystère » (Épitre aux Éphésiens) dans l'histoire.

Origène, usant — sobrement — du mythe, s'inscrit dans la pensée de la transposition de ce monde au monde supérieur, ou à venir, ce monde dont on attend la venue, celle de la Jérusalem céleste descendants des cieux (Apocalypse 20-22).

C'est de là que nous sommes venus. Un monde qui a préexisté au nôtre, d'où nous sommes déchus dans des corps suite à une faute dans le monde préexistant, chute dont le chef de file est le diable. L'idée d'un monde préexistant d'où nous provenons est connue dans le judaïsme de l'époque du Nouveau Testament. On a trace de cette idée en Jean 9, l'épisode de l'aveugle-né : "est-ce lui qui a péché ou ses parents pour qu'il soit né aveugle ?" demande-t-on à Jésus.

Seul le Christ, parfaitement uni à la Parole éternelle de Dieu, n'a pas péché. Il est venu dans ce monde où nous sommes exilés, pour nous en racheter, il est venu en mission donc, pour transformer notre exil en mission.

*

Origène, ou plutôt un certain origénisme, a été condamné en 553 au IIe Concile de Constantinople, (5e œcuménique). Cette première grande théologie à influence universelle ne s'est pas pourtant autant éteinte spontanément. Elle a survécu en divers lieux. Il ne fait aujourd’hui aucun doute que les théologies cathares sont essentiellement origéniennes, dotées de cet élément central : le dualisme des mondes — celui de la préexistence et le nôtre, celui du temps, de l'histoire, de la nature de ce monde. Ainsi la mise en place d'une théologie de la nature par Thomas d'Aquin, face au christianisme médiéval antécédent dont participe de le catharisme, n'est pas sans analogie avec la mise en place par Irénée d'une théologie de l'histoire.

Origène, Traité des Principes III, 4, 4-5 : « […] l'âme, lorsqu'elle a acquis une sensibilité plus grossière, parce qu'elle se soumet aux passions du corps, est opprimée sous la masse des vices et elle ne sent plus rien de subtil et de spirituel ; on dit alors qu'elle est devenue chair et elle tire son nom de cette chair qui est davantage l'objet de son zèle et de sa volonté. Ceux qui se posent ces questions ajoutent : Peut-on trouver un créateur de ces pensées mauvaises qui sont dites la pensée de la chair ou peut-on appeler quelqu'un ainsi ? En effet ils soutiendront qu'il faut croire qu'il n'y a pas d'autre créateur de l'âme et de la chair que Dieu. Si nous disons que c'est le Dieu bon qui, dans sa création elle-même, a créé quelque chose qui lui soit ennemi, cela paraîtra tout à fait absurde. Si donc il est écrit : La sagesse de la chair est ennemie de Dieu et si on dit que cela s'est fait à partir de la création, il semblera que Dieu ait créé une nature qui lui soit ennemie, qui ne puisse être soumise ni à lui ni à sa loi, car on se sera représenté comme un être doué d'âme cette chair dont on parle. Si on accepte cette opinion, en quoi paraît-elle différer de la doctrine de ceux qui se prononcent pour la création de natures différentes d'âmes, destinées par leur nature au salut ou à la perdition ? Seuls des hérétiques pensent ainsi et, parce qu'ils n'arrivent pas à soutenir par des raisonnements conformes à la piété la justice de Dieu, ils inventent des imaginations aussi impies.
Nous avons exposé dans la mesure de nos forces, d'après les tenants des diverses opinions, ce qui peut être dit par manière de discussion sur chacune de ces doctrines : que le lecteur choisisse de cela ce qu'il trouvera plus raisonnable d'accepter. »


Ce qu'Origène, qui n'ose donc pas attribuer la malignité du monde à Dieu, ce qu'Origène ne dit pas ! les cathares le diront, en certains de leurs courants : le monde naturel, le monde du temps et de l’histoire, avec ce qu'il véhicule de mal, est dû au diable.

Autre aspect où les cathares semblent se séparer d’Origène : le Traité cathare des Deux Principes professe clairement la prédestination là où Origène insiste sur un libre-arbitre qui semble s'y opposer. Mais, sans compter que ce à quoi il s'oppose, c'est au déterminisme (des valentiniens voulant trois catégories d'hommes prédéterminés), le libre-arbitre d'Origène s'inscrit dans la pré-existence, où les choses s'avèrent donc moins simples qu'il n'y paraît.

Ainsi, plusieurs textes du Nouveau Testament peuvent être reçus comme parlant de prédestination... et/ou de préexistence. Par ex. Romains 8, 29-30 : « ceux que Dieu a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin que son Fils fût le premier-né entre plusieurs frères. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés. »

*

À une époque, la nôtre, où une nouvelle notion de préexistence est à l'ordre du jour avec les philosophies de la volonté, et notamment via la psychanalyse, avec la notion de désir, et volonté d'être, on peut voir se recouper prédestination et préexistence comme liberté non-déterminée. Ainsi ce texte de Kafka, dans Les Aphorismes de Zürau (n° 104) - collection “Arcades”, éd. Gallimard, p. 114 :

« L’homme a son libre arbitre, il l’a même par trois fois :
Premièrement il était libre lorsqu’il a voulu cette vie ; maintenant, c’est vrai, il ne peut plus faire marche arrière car il n’est plus celui qui voulait à ce moment-là, si ce n’est peut-être dans la mesure où en vivant il accomplit sa volonté d’alors.
Deuxièmement, il est libre dans le choix de sa démarche et du chemin à suivre dans cette vie.
Troisièmement, il est libre en tant que celui qu’il redeviendra un jour, qui a la volonté de se laisser aller par la vie à n’importe quelle condition et de venir à soi de cette manière, et ce, selon un chemin certes éligible mais en tout cas tellement labyrinthique que pas un recoin de cette vie ne lui est épargné.
Ce sont là les trois sortes de libre arbitre, mais comme il y a simultanéité cela n’en fait qu’un seul et même, et au fond cela revient tellement au même qu’il n’y a aucune place pour l’arbitre, qu’il soit libre ou pas. »


*

Transposition et histoire : ce serait la question que poserait Origène en vue d'une lecture d'Irénée dans le cadre de la cosmologie qui est celle de son époque. L'oikonomia advenant dans l’histoire n'en reste pas moins une réalité relevant d'une lecture du monde à partir de la foi que le monde / aion du Royaume advient dans ce temps, tout en étant celui d'une ère, d'un aion, qui n'est pas de de monde / temps /aion-ci.


RP, Saintes / La Rochelle, 20/01/15
Colloque Irénée, semaine de l'Unité