<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: août 2011

mardi 23 août 2011

La planète des singes - de la conquête aux origines



Une des clefs de la méditation de Pierre Boulle et de son ironie est dans le simiesque, le mimétisme simien…

« Et justement, les singes sont doués d'un sens aigu de l'imitation... […] écrit-il dans son roman La planète des Singes, en 1963 :

Qu'est-ce qui caractérise une civilisation ? Est-ce l'exceptionnel génie ? Non, c'est la vie de tous les jours... Hum ! Faisons la part belle à l'esprit. Concédons que soient d'abord les arts et, au premier chef, la littérature. Celle-ci est-elle vraiment hors de portée de nos grands singes supérieurs, si l'on admet qu'ils sont capables d'assembler des mots ? De quoi est faite notre littérature ? De chefs-d'œuvre ? Là encore, non. Mais un livre original ayant été écrit — il n'y en a guère plus d'un ou deux par siècle — les hommes de lettres l'imitent, c'est-à-dire le recopient, de sorte que des centaines de milliers d'ouvrages sont publiés, traitant exactement des mêmes matières, avec des titres un peu différents et des combinaisons de phrases modifiées. Cela, les singes, imitateurs par essence, doivent être capables de le réaliser, à la condition encore qu'ils puissent utiliser le langage.

En somme, c'est le langage qui constitue la seule objection valable. Mais attention ! Il n'est pas indispensable que les singes comprennent ce qu'ils copient pour composer cent mille volumes à partir d'un seul. Cela ne leur est évidemment pas plus nécessaire qu'à nous. Comme nous, il leur suffit de pouvoir répéter des phrases après les avoir entendues. Tout le reste du .processus, littéraire est purement mécanique. C'est ici que l'opinion de certains savants biologistes prend toute sa valeur : il n'existe rien dans l'anatomie du singe, soutiennent-ils, qui s'oppose à l'usage de la parole ; rien, sinon la volonté. On peut très bien concevoir que la volonté lui soit venue un jour, par suite d'une brusque mutation. »


La question de cette « mutation » a arrêté les adaptateurs cinématographiques de son roman qui se sont penchés sur le tournant de la révolte simienne.


Dans La Conquête de la planète des Singes, Lee Thompson, en 1972, opte pour le court-circuit du paradoxe temporel. Si le roman de Pierre Boulle, de 1963, fait voyager les astronautes dans l’espace, jusqu’au système de Bételgeuse, on sait que dans le film de Franklin J. Schaffner, en 1968, les astronautes sont restés sur terre, se retrouvant simplement dans le futur. La scène mémorable est celle de la découverte finale de la statue de liberté par George Taylor / Charlton Heston.

En 1971, dans Les Evadés de la planètes des singes, on avait vu les chimpanzés Cornélius et Zira arriver sur terre — en fait dans leur passé, en 1973. Zira est enceinte. Son fils César naîtra dans un zoo. C’est là que commence La Conquête de la planète des Singes.

On est à l’époque où les animaux domestiques, chiens et chats, ont disparu et ont été remplacés par les singes (ici on est proche du roman de Boulle), dont les capacités supérieures les voient transformés peu à peu en esclaves des humains… Il ne leur manque que la parole… que César leur amènera du futur. Paradoxe temporel, à défaut d’explication de la « mutation ».

La version de Tim Burton de 2001, qui use aussi du paradoxe temporel, ouvre une autre issue pour expliquer ladite mutation : les manipulations génétiques.

Dix ans plus tard, en 2011, soit quarante ans après Les Evadés de la planètes des singes / La Conquête de la planète des Singes, la voie de la mutation génétique est exploitée à fond dans La Planète des singes : Les Origines de Rupert Wyatt…

Un traitement contre la maladie d’Alzheimer qui s’avèrera instable et inefficace concernant les humains, avant « amélioration » qui le verra devenir mortel, est en revanche parfaitement adapté pour les singes sur lesquels il est expérimenté... et se transmet à la descendance !

C’est même au-delà de toute attente : on sort résolument du mimétisme simien comme clef du roman de Boulle. Les singes « traités » s’avèrent potentiellement et très rapidement plus intelligents que les humains.


Ce qui — si l’on sait que, comme l’a montré, depuis, René Girard, le mimétisme n’est pas du tout ce qu’en croyait Boulle —, présage des lendemains difficiles pour le futur de la civilisation simienne : le mimétisme est en effet non pas un signe de déficit d’humanité, qui nous ferait nous moquer des singes… simiesques. Le mimétisme est au contraire d’autant plus fort que l’être est plus intelligent ! Le mimétisme est jusqu’à présent plus puissant chez les hommes que chez les singes, et les hommes en sont ipso facto plus violents, s’imitant et se concurrençant les uns les autres jusqu’à la pire des violences, exterminatrice.

N’en demeure pas moins l’impossible quadrature du cercle des adaptations diverses de Pierre Boulle qui prennent parti pour les opprimés simiens, de La Conquête aux Origines. Pierre Boulle, lui, ne voyait pas dans le simiesque, dans le mimétisme simien, un élément en leur faveur, mais bien la preuve de leur infériorité irrémédiable. Et dans le film de Rupert Wyatt, Les Origines, c’est encore à l’homme et à ses traitements du cerveau — dernier refuge du simiesque — que les singes doivent leur accès à leur nouveau statut.

Le mythe trouve à nouveau sa limite dans la théorie du mimétisme de René Girard : le plus puissant imitateur et bel est bien le plus élevé dans l’échelle des créatures intelligentes…
RP