<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: novembre 2010

vendredi 26 novembre 2010

Le sacré et la répulsion (1) "Le religieux et le sacré : quel rapport ?"




Pour donner une proposition de départ : Le sacré, que le religieux investit, dépasse le religieux, y compris en ce qu'il n'a plus cette certaine dimension relative du religieux : relier, ou relire — selon les deux étymologies du mot « religion » — c'est forcément relatif à quelque chose, ce qui offre donc la possibilité d'une prise de distance, que ne permet pas forcément le sacré.

Au point qu’on pourrait dire que le sacré c’est aussi le religieux, mais qui n'est pas conscient de l’être ! Ou qui n'est pas encore conscient de l'être, ou qui n'est plus conscient de l'être.

Les sociétés humaines s’organisant autour d’un sacré, même non-dit (surtout non-dit), y fondent le critère du rejet de leurs hérésies (les cathares ont disparu, mais on leur a trouvé bien des successeurs) et de leurs sacrilèges... La répulsion.

La religion peut être envisagée comme « l’institutionnalisation de l’expérience du sacré, — du sacré institué —, par rapport au sacré instituant de l’expérience elle-même ». « Avant d’être nommée, mise en mots, spiritualisée, cette expérience est d’abord intensément vécue. »

Le sacré suscite le tremblement, tremens. On est face à quelque chose de terrible, tremendus en latin, comme avec une autre écriture en anglais : tremendous !

Mis en ordre dans la religion, le sacré perd ipso facto quelque chose quelque chose de sa puissance. S’il est institutionnalisé, domestiqué donc, il est moins imprévisible, moins terrible, déjà en marche vers sa profanation et son remplacement. Et on ne profane collectivement que ce qui n’est déjà plus sacré, ou qui est le sacré d’autrui — que ce soit moquerie sur une religion, ses symboles ou ses clercs, ou une institution d’État ou autre personnage royal.

Tel est le paradoxe du rite qui dessine le sacré, l’espace sacré, le temps sacré, le personnage sacré. Et telle est pourtant la fonction de la religion : autant de règles d’approche désignant le sacré pour le rencontrer sans le profaner. Des règles à observer minutieusement sous peine de voir le sacré déborder dans le recouvrement de son déferlement et de son danger.

Mais en lui faisant perdre son trop grand danger, la religion est déjà, comme telle, en route vers sa propre profanation. S’il n’y a plus lieu de trembler, s’il n’y a là, à terme, plus rien de « tremendous », de terrifiant, il n’y a là bientôt plus rien de particulièrement sacré.

Mais, si le sacré est l’expérience de l’ultime, expérience que de toute façon nous faisons, qui est même caractéristique de l’humanité, il va ressurgir par un autre bout, par un autre biais.

Une religion nouvelle va émerger, un ésotérisme mystérieux va réinstiller du mystère, une espérance eschatologique nouvelle va réorienter la transcendance — vers le futur , l’émotion communautaire va renouer du lien, etc.

Et plus le sacré sera conscient d’être religieux, percevra son rite comme religion, et moins il sera potentiellement puissant et ravageur.

Et en rapport avec ce nouveau sacré, d’autant plus puissant qu’il n’est pas nommé vont se faire jour de nouveaux sacrilèges, de nouvelles hérésies et de nouvelles profanations, le pôle de la répulsion qui désigne le sacré en négatif, qui permet de le percevoir en miroir.

Confondre le religieux qui civilise le sacré, et le sacré qui le précède, le suit, et le déborde infiniment, c’est se condamner à ne pas percevoir notre propre sacré, moteur de nos actes et de nos conceptions du monde, de nos idées de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas.

Quand la religion, quand telle religion est regardée de haut, la question se pose de savoir, au nom de quel sacré s’opère cette relégation.

Pour aller un peu plus loin, quand la notion même de sacré semble n’avoir plus rien de « tremendous », la question se pose de savoir quel nom nouveau a emprunté la nouvelle sacralité, qui peut donc aller jusqu’à ne même plus se reconnaître sous le nom de « sacré »…


lundi 22 novembre 2010

Thomas d'Aquin — foi et raison




Thomas cite Aristote disant : « Opportet addiscentem credere » (IIa IIae, qu, 2 a, 3 resp.) : il faut que celui qui veut apprendre croie. À savoir : celui qui reçoit un enseignement ne sait pas, au départ, autant de choses que son maître. Il est des choses qu'il doit croire, quitte à ne plus y adhérer lorsqu'il aura appris. C'est ce qu'on demande de tout enfant allant à l'école : il ne sait pas encore ce que ses maîtres vont lui enseigner. L'humilité est requise en vue de la science qui fera accéder celui qui a exercé cette humilité à une connaissance propre, qu'il n'aura plus besoin de croire, si on s'en tient au domaine accessible à la raison naturelle.

Concernant le domaine révélé, la foi restera nécessaire, compte tenu de l'infinité d'un domaine dont la réalité ultime restera inaccessible. Ici, on ne dépassera pas la foi par la raison.

Où l'on voit que les divers domaines fonctionnent selon des principes et des méthodes divers.

Au XIIIe siècle, comme dans les siècles antérieurs, le terme « science » ne désigne pas la même chose que dans le vocabulaire actuel. Depuis l'empirisme et le rationalisme, le terme « science » désigne ce qui est accessible à nos sens et dont les règles générales sont vérifiables à l'aune de la reproductibilité des phénomènes en laboratoire, de leur régularité ; ou à leur exactitude vérifiable pour les objets mathématiques.

Auparavant, la science concerne tous les domaines y compris les domaines qui demeurent et demeureront inaccessibles à nos sens comme à notre raison. C'est ainsi que la théologie est alors une science (cf, M.-D. Chenu, La théologie comme science au XIIIe siècle, Paris, 1943).

Dans cette perspective, qui est celle de Thomas, on parle de « subalternation des sciences » (cf. Chenu, op. cit.).

La science suprême est alors la science de Dieu. C'est la science par laquelle Dieu se connaît lui-même et connaît toute chose.

Vient ensuite la science qui consiste à connaître ce que Dieu dévoile de lui-même, par révélation, ce qui est rapporté dans les Écritures : c'est la théologie, par laquelle on ne connaît pas Dieu en lui-même, mais ce qu'il révèle de lui-même. Une science qui est essentiellement « lectio divina », aidée de la logique, et qui consiste à une exégèse croyante et correcte des Écritures.

Enfin la philosophie, qui concerne tout ce qui relève de la raison naturelle, que ce soit la philosophie première, la métaphysique, ou les sciences naturelles, et qui fonctionne selon les règles de la logique, de l'observation, etc. Des règles tout à fait distinctes de celles de la théologie, des règles qui sont celles de la raison naturelle, et où la foi religieuse n'entre pas en compte. Si la philosophie est subalterne à la théologie, cela ne signifie pas que celle-ci impose des règles à celle-là.

On est en un temps où la théologie s'est clairement distinguée de la philosophie ; non seulement de la philosophie qui consiste en science naturelle, mais aussi de la philosophie première, de la métaphysique. Cette distinction n'a pas été de tout temps à l'ordre du jour. Pour Aristote, le terme « théologie » désigne autant la réflexion sur les mythes (en commun avec Platon) que l'étude du monde supra-lunaire (au-dessus de la Lune), dont la matière est l'éther, tandis que le monde sub-lunaire, concerne ce qui se meut et est composé des quatre éléments que sont terre, eau, air, feu ; l'éther étant un cinquième élément, la « quinte essence ». La métaphysique, ce qui est au-delà de la physique, étude des objets célestes et de leurs moteurs spirituels est donc théologie naturelle, incluant les intelligences célestes angéliques — moteurs des sphères supra-lunaires où se meuvent les astres et qui animent les dix cieux de l'époque — ; les âmes et la première intelligence, Dieu.

L'histoire du christianisme voit l'introduction et le développement d'une distinction entre cela, la métaphysique, au-delà de la physique, et la théologie de la révélation, en l'occurrence biblique ; distinction qui a acquis toute sa clarté au XIIIe siècle. C'est ainsi que pour Thomas, il y a des réalités célestes accessibles à la seule raison, jusqu'à l'existence de Dieu et des vérités inaccessibles sans la révélation : l'Incarnation du Verbe, la Trinité, le commencement du monde, la résurrection.

Voilà qui pose problème en un temps où l'aristotélisme, venu du monde arabe, semble enseigner des choses comme l'éternité du monde ou l'unité d'âme pour tout le genre humain.

Thomas s'emploie à harmoniser ces enseignements apparemment contradictoires, au point qu'il subira la condamnation par lequel l'évêque de Paris Étienne Tempier vise en 1270 l'enseignement du philosophe arabe Averroès, puisque ce nouvel Aristote vient donc essentiellement du monde arabe, notamment Averroès (musulman) et Maimonide (juif) – tous les deux arabo-espagnols.

*

L'articulation des différents domaines se fait pour Thomas dans le cadre de la subalternation des sciences.

Cela correspond à l'humilité de l'homme dans le monde des créatures spirituelles et intelligentes.

L'homme n'est pas un ange. Il est doté d'un corps : il est un être « hylémorphique », composé de matière (hylé), structurée ou « informée » (morphé) par une âme. Contrairement aux anges, qui pour Thomas n'ont pas de corps. Thomas est le premier en chrétienté à pouvoir soutenir cette thèse avec toute la rigueur nécessaire. Thomas a adopté et précisé la distinction de l'essence et de l'existence mise en place par les philosophes arabo-persans Al Farabi et Avicenne. Si Dieu existe par essence (son essence est d'exister), ce n'est pas le cas des anges, dont l'essence (la qualité d'être) est placée dans l'existence par l'acte créateur de Dieu : leur essence, pensée par Dieu est distincte de leur existence, qui leur est donnée par un acte souverain de Dieu. Voilà qui permet de les penser sans corps : auparavant, rien ne pouvait les distinguer de Dieu que leur corps, avec lequel ils se seraient confondus s'ils n'en avaient pas été dotés. Dorénavant les anges peuvent être conçus comme créatures incorporelles.

Cela permet d'envisager aussi deux types de connaissance dans les créatures spirituelles. La connaissance d'intellects purs, comme les anges, connaissance immédiate, intuitive, illuminative, d'un côté ; et de l'autre la connaissance rationnelle, discursive, passant d'un objet à l'autre et procédant par abstraction, à laquelle est contraint l'homme qui a accès au monde par ses sens corporel. L'homme est donc un être rationnel, contraint à raisonner, parce qu'il n'est pas intellect pur. La rationalité de l'homme est donc une marque d'humilité.

Cela rejoint la question de la théologie négative, un classique dont Thomas adopte en partie la conception qu'en donne Maimonide. Une notion qui consiste essentiellement à admettre que nous ne pouvons rien dire de Dieu qui ne doive ensuite être nié : on peut dire de Dieu non pas tant ce qu'il est que ce qu'il n'est pas.

*

La subalternation des sciences est une pratique d'humilité.

Dans la suite des temps, c'est la question sera de savoir comment on l'exerce. Deux pôles de compréhension vont apparaître. À un pôle on peut mentionner Gilles de Rome, suite auquel dès le XIVe siècle, la subalternation des sciences a tendance à être comprise comme un retour à la gestion antérieure du monde par Rome avec philosophie et science appelées à trouver au terme de leur recherche l'enseignement de l'Église...

À un autre pôle, que l'on peut représenter par Dante, la recherche reste vraiment telle, fonctionnant selon ses propres principes. La raison naturelle est appelée aussi à la gestion de la cité, elle et non l'Eglise romaine ; cela appuyant la distinction qui commence à apparaître entre pouvoir civil et pouvoir religieux — lointaine esquisse de ce qui deviendra la laïcité.

Ici le principe de la subalternation des sciences prendra une autre signification, faisant rejoindre la formule de Rabelais : « Science sans conscience n'est que ruine de de l'âme » — et trouvant tout son sens dans la question des sciences appliquées, avec toute une modernité à l'époque de la bio-éthique...

La raison ne fonctionne pas dans le vide, l'humilité de l'enfant exerçant la foi pour apprendre est toujours à nouveau requise. Dans ce domaine, nos connaissances, le fruit de notre raison appelle sa propre subalternation à l'étonnement devant l'être dont le fond lui échappe...


RP,
AJC Antibes 18.11.10


jeudi 11 novembre 2010

Le baptême et la naissance spirituelle



Parler du baptême, rite marquant le début de la vie chrétienne, et en parler en regard de la naissance, revient à poser une interrogation sur l’être humain comme individu unique et irréductible à la biologie : il est signifié au baptisé, à la communauté dans laquelle il est accueilli et à sa famille, qu’une autre dimension que celle de sa venue dans le provisoire lui est ouverte.


Le baptême, a fortiori s’il est administré à un nouveau-né, veut marquer une distance d’avec la naissance. Il désigne, au delà des cercles naturel, biologique et familial, voire au-delà du cercle culturel, une dimension « spirituelle » — « en Christ » (on va préciser le sens de ces termes). Cette dimension, spirituelle, est signifiée par les mots proférés et les gestes accomplis lors de l’administration du baptême. Il s’agit de paroles et de gestes qui évoquent une dimension qu’ils ne font que signifier, présenter en signe : à ce point, on touche au terme ecclésial : « sacrement ».


Un sacrement

Selon saint Augustin, un sacrement est la forme visible d’une grâce (c’est-à-dire d’une faveur, d’un don) invisible. Invisible : revenons au mot « spirituel », désignant littéralement les « choses de l’esprit ». Que ce soit dans les langues de racine sémitique et hébraïque (la racine d’origine des traditions chrétiennes) grecque (langue du Nouveau Testament et racine de la langue de nombreuses Églises chrétiennes) ou latine (dont le français) — les mots « esprit », « spirituel », « inspiration », etc., connotent le vent, le souffle (c’est la même racine, voire le même mot — pneuma en grec, ruah en hébreu). C’est l’image que donne l’Évangile selon Jean (ch. 3, v. 8) : Jésus y rappelle que l’esprit est invisible comme le vent, que l’on ne devine que par ses effets.

Des paroles et des gestes désignent, pour la foi qui les reçoit, la réalité invisible, « spirituelle », à laquelle ils renvoient. Ce sont donc les sacrements : leur nombre varie en général de deux à sept selon les Églises : le baptême, l’Eucharistie ou sainte Cène — signifiant, par un repas partagé, résumé en général à du pain et du vin, la participation à la vie du Christ — (ce sont là les deux seuls sacrements reconnus par les Églises issues de la Réforme du XVIe siècle) ; auxquels s’ajoutent pour la plupart des autres Églises historiques, la confirmation (signifiant le don de l’Esprit saint), l’ordre (qui consacre les ministres du culte), le mariage, le sacrement du pardon et de la réconciliation (ex-« pénitence »), et le sacrement des malades (antan « extrême-onction »).

Le baptême est le sacrement fondamental, au sens propre du terme : le sacrement initial de la vie chrétienne, appelant à vivre dans la foi au Christ une vie ne se limitant pas à ses aspects biologiques, familiaux, culturels…


Parole, gestes, et foi

La dimension spirituelle signifiée au baptême relève ainsi de la foi. C’est une des raisons pour lesquelles certaines Églises (dites baptistes, ou pour certaines, anabaptistes, selon ce sobriquet signifiant « rebaptiseurs ») refusent le baptême des petits enfants : ces Églises requièrent pour administrer le baptême une profession de foi explicite du candidat lui-même. La plupart des Églises, cependant, soulignant la dimension ecclésiale de la participation à la vie de la foi, administrent le baptême aussi aux nourrissons. La foi est exprimée alors de façon communautaire — ce qui n’obère en rien le fait que l’enfant baptisé devra assumer lui-même, lorsqu’il sera en âge, la dimension spirituelle dont il reçoit le signe.

La matière qui signifie cette entrée dans la dimension spirituelle chrétienne, est en général simplement de l’eau. (Quelques Églises jugent que cet élément, perçu comme simple support symbolique originel, est inutile.) Plusieurs Églises, des diverses traditions catholiques, y compris non rattachées à Rome, procèdent à une bénédiction de l’eau baptismale.

La parole qui scelle le geste accompli (communément, donc, avec de l’eau) est celle avec laquelle Jésus envoyait ses disciples : au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit — « allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matthieu 28, 19). (Des exégètes considèrent que la formule première était « au nom de Jésus », que l’on trouve lors de baptêmes dans le livre des Actes des Apôtres.)

La parole prononcée qui accompagne le geste, donnée à la foi de la communauté en Christ, assure la validité du sacrement. Il ne s’agit pas d’imaginer un acte magique (contre cela, certains protestants préfèrent au mot « sacrement », le mot moins signifiant d’ « ordonnance »). Ce n’est pas tant de gestes et formules corrects qu’il s’agit, que de la réception dans la foi de ce que promet la parole signifiée par les gestes qui la soulignent : la participation à la vie divine avec le Christ, par le don de l’Esprit saint. Le baptême est donc administré sur confession de foi.


Accords œcuméniques et diversité chrétienne

Précisons qu’il y a accord œcuménique, reconnaissance réciproque de la validité du baptême, entre la plupart des Églises chrétiennes (un baptême non-renouvelable). Cela n’exclut pas diversité d’interprétations, notamment quant à la relation entre le geste baptismal et la réalité invisible qu’il signifie. Cette diversité se situe entre deux pôles : à un pôle on souligne la proximité entre le sacrement et ce qu’il signifie, à l’autre pôle, on souligne la distance relative entre le symbole et la grâce spirituelle qu’il exprime. Au premier pôle, on peut nommer l’Église catholique romaine, parlant d’ « ex opere operato », ce qui veut dire que le sacrement accomplit ce qu’il signifie ; à l’autre pôle, les Églises protestantes soulignent que le sacrement renvoie à une réalité qui le dépasse infiniment, en tenant à bien préciser que Dieu reste libre par rapport à la communauté et à son porte-parole administrant le sacrement.

Notons que la notion d’ « ex opere operato » est liée dans l’Église catholique à la possibilité d’administrer « en urgence » le baptême pour les enfants en danger de mort, baptême conféré alors sans « cérémonies accessoires », sous le terme commun d’ « ondoiement ». Seuls les martyrs, « baptisés » dans le sang, sont considérés comme dispensés du baptême (bien que l’exégèse en soit discutée, le texte de 1 Corinthiens 15, 29, parlant de « baptême pour les morts », pourrait évoquer cette notion de « baptême de sang »). Se pose donc la question du salut d’un enfant mort sans baptême. Il était antan considéré comme voué aux « limbes » (notion désignant une sorte d’enfer sans douleur — à présent abandonnée). En cas d’ « urgence », toute personne, catholique ou non, peut « ondoyer », c'est-à-dire verser de l'eau sur le haut du front et dire « je te baptise au nom du père, du Fils et du Saint Esprit ». Les cérémonies dites accessoires viennent compléter ensuite l'ondoiement si l'enfant survit. L’Église catholique insiste actuellement sur l’espérance d’un salut dû à la miséricorde divine pour les enfants morts sans baptême, sous le poids du péché originel. La pratique de l’ « ondoiement » n’a jamais été reçue dans les Églises protestantes qui, distinguant plus nettement le baptême de ce qu’il signifie, ne conditionnent pas le salut au rite.

On peut, à travers cette diversité, mettre en perspective trois niveaux d’approche qui permettront de dessiner les contours de la vie spirituelle signifiée au baptême :
- le niveau du baptisé et de sa famille adressant la demande à l’Église,
- le niveau de l’Église qui reçoit la demande et qui répond — non pas tant à la demande de la famille qu’à Jésus Christ qui l’envoie !
- Le niveau indicible, reçu dans la foi : celui de Dieu, qui précède et la demande du baptême et son administration, et qui au-delà du geste de l’Église, communique mystérieusement à la foi des demandeurs ce que l’Église signifie dans le baptême : la vie de Dieu avec le Christ dans le don de l’Esprit saint (précisons ici que la présence de l’Esprit saint lors du baptême est encore soulignée par les Églises de tradition orientale qui le signifient par l’onction du « saint chrême », la confirmation, qui a été décalée en Occident par rapport au moment du baptême proprement dit).

Le baptême signifie pour nos cinq sens une immersion dans une dimension spirituelle qui ne nous est pas naturellement perceptible.


Judaïsme, christianisme et Alliance

Le mot immersion renvoie à une signification première du mot baptême (quoique sans doute pas la seule possible — baptisma en grec). Avec en arrière-plan les bains rituels du judaïsme. En hébreu : le miqvé. Le miqvé est une immersion rituelle, symbole de purification, un bain d’eau courante, par exemple dans une rivière ou un bassin non fermé. Le Nouveau Testament mentionne le Jourdain ou les « piscines » alimentées par les ruisseaux de Jérusalem — nommant celles de Siloé ou de Béthesda, donc des miqvaoth (pluriel de miqvé). Le mot grec qui a donné le français baptême traduit couramment l’hébreu miqvé. Le mot grec peut cependant désigner aussi des aspersions rituelles (cf. Marc 7, 4, Hébreux 6, 2), via probablement un transfert terminologique de l’immersion de l’objet rituel à son usage (la branche d’hysope par exemple, plongée dans l’eau en vue d’une aspersion).

L’étymologie première renvoyant au bain du miqvé est la raison pour laquelle de nombreuses Églises, notamment baptistes, requièrent que le baptême soit administré par immersion. Les Églises orthodoxes pratiquent une triple immersion. La pratique de l’immersion totale s’est estompée assez tôt dans l’histoire chrétienne, tout comme le souvenir du miqvé. En témoignent les baptistères qui ont été conservés depuis les premiers siècles chrétiens. On sait qu’il s’agit généralement de cuves octogonales (l’octogone symbolisant l’éternité — cf. ci-dessous) dans lesquelles l’impétrant devait descendre, pour une immersion. La taille de quelques-uns des baptistères conservés laisse cependant penser qu’on pouvait difficilement immerger entièrement un adulte dans certains d’entre eux (on peut penser à des semi-immersions). Plus tard, c’est l’usage de l’aspersion qui s’est généralisé, notamment en Occident. On peut penser en parallèle à l’eucharistie, « repas » résumé au pain et au vin.

Plusieurs des baptêmes administrés dans le récit présenté par le livre des Actes des Apôtres posent des questions sur le mode d’administration. Par exemple Actes 16, où une famille entière est présentée comme étant baptisée dès son adhésion à la prédication des Apôtres, en pleine nuit, à la maison (v. 33) : soit le récit télescope les événements à fin de soulignement littéraire de l’urgence (pratiquement, le passage au miqvé se faisant plus tard), soit le baptême n’est pas administré via un bain rituel — par aspersion, voire sans eau (?). Quoiqu’il en soit, le rite du miqvé requis des familles converties au judaïsme est l’origine peu discutable du baptême chrétien. Lorsqu’une famille non-juive vient au judaïsme, outre la circoncision des mâles, hommes, femmes et enfants passent par le rite du miqvé familial. On peut comparer cela aux expressions, fréquentes dans le Nouveau Testament, de « baptêmes de familles », pratique occasionnant la même argumentation que dans le judaïsme : le passage par le miqvé initial ouvre à la sphère de la sainteté. « Vos enfants sont saints » dit Paul des enfants dont un des parents est chrétien (1 Corinthiens 7, 14).

Un des éléments du tournant qui fait passer du miqvé au baptême chrétien est à chercher dans la prédication de Jean le Baptiste et dans le rite qui l’accompagne. Jean, selon le Nouveau Testament, proclame l’urgence et la nécessité de faire retour — techouva en hébreu —, « changer d’intelligence » selon le terme grec du Nouveau Testament (métanoïa). En français : le repentir, ou la conversion.

Il s’agit pour ceux auxquels Jean lance son appel, de se détourner d’attitudes coupables — en transgression de la Torah, la Loi de Dieu —, pour être plongés dans une vie nouvelle, symbolisée par le bain de purification rituelle. Jean se situe ainsi dans cet aspect du miqvé, présent aussi dans le judaïsme : passer par ce rite pour signifier un besoin de purification morale. L’appel de Jean, qui en cela aussi s’inscrit bien dans le judaïsme, est présenté comme valant pour tous : « ne dites pas "nous avons Abraham pour père" » (Matthieu 3, 9). Ce moment de la prédication du Baptiste sera significatif comme passage vers ce sens du baptême chrétien, que nous avons vu d’entrée : il exprime, en la soulignant d’une façon particulière, une distinction nette entre vie biologique et vie spirituelle, distinction bien inscrite dans la tradition hébraïque : on peut descendre biologiquement d’Abraham sans participer à la vie, à l’expérience spirituelle qui a été la sienne. La référence à Abraham est ici essentielle : Abraham est dans la Bible « le père de l’Alliance ». En lui, Dieu s’allie un peuple, avec pour signe de l’Alliance, la circoncision — à l’occasion de laquelle les nouveaux venus au judaïsme passent par le miqvé. Suite aux débats sur l’accueil des non-juifs dans la communauté des disciples de Jésus, ceux-ci seront finalement dispensés de circoncision : le baptême devient alors, pour les chrétiens, le signe de l’Alliance, à l’instar de la circoncision.


Baptisés en Christ

Lorsque les Évangiles montrent Jésus justifiant la mission de Jean le Baptiste en recevant lui-même, malgré les réticences de Jean, son baptême, la pierre d’angle de ce que sera le baptême chrétien est posée : participation à la vie spirituelle, une vie de conversion, de « tournement » vers Dieu, justifiée par Jésus et participée en lui. « Vous avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ », en dira Paul (Galates 3, 27). Ce « revêtir » le Christ, ce baptême en Christ, est participation par la foi à la vie divine animée de l’Esprit saint. Le baptême d’eau ne fait que signifier ce baptême spirituel. S’y annonce symboliquement un baptême en la mort du Christ, pour une renaissance à la vie divine comme participation à sa résurrection. On a souvent repris ici l’illustration du miqvé : plonger dans les eaux, comme dans la mort du Christ pour en ressortir en vie nouvelle. Le passage de Jésus par le baptême — miqvé — de Jean prend ici pour les croyants sens de solidarité et d’annonce : « il est un autre baptême dont je dois être baptisé », disait-il (Marc 10, 38-39), annonçant sa mort. Cette mort avec le Christ, pour une résurrection en vie éternelle (selon le vocabulaire constant de l’Évangile de Jean notamment, parlant de la participation au Règne de Dieu comme Vie, Vie éternelle) sera symbolisée aussi par la forme octogonale des anciens baptistères : symbole du huitième jour, celui de la résurrection du Christ, comme début de la nouvelle création — quand la première création prend forme en sept jours symboliques.

Mourir symboliquement avec le Christ se concrétise symboliquement par une « mort » à soi-même, à savoir un renoncement à ce qui est passager, à tout attachement, nécessairement provisoire — « à Satan et à ses pompes » (« pompes », c’est-à-dire « artifices ») selon la formule des anciennes liturgies. Voilà qui situe le chrétien dans ce que la théologie appelle « le déjà et le pas encore » : nous sommes déjà dans le Règne de Dieu, mais pas encore tout à fait ! « Vous êtes dans le monde, mais vous n’êtes pas de ce monde » dit Jésus dans l’Évangile selon Jean (15, 19 & 17, 11-16). Le baptême signe le provisoire de notre passage dans le temps. Le baptême administré aux nouveaux-nés prend alors ce sens remarquable : au moment où le nouvel être humain entre dans le temps, il lui est signifié, il est signifié à la foi de la communauté dans laquelle il est accueilli et à sa famille, qu’une autre dimension que celle de sa venue dans le provisoire lui est ouverte. Ce message, porté par le baptême, reste d’actualité, même si la pratique diminue en Europe (elle est en constante augmentation dans le reste du monde) : en France, en 1957, 92% des catholiques étaient baptisés, 57% en 2000, en quasi-totalité près de la naissance. Les chiffres et la diminution valent approximativement pour les autres Églises pratiquant le baptême des enfants.

Il est une autre dimension que celle de la naissance biologique qui a fait advenir l’enfant comme enfant de la chair : c’est une dimension spirituelle qui est alors annoncée comme « pouvoir de devenir enfant de Dieu » (Jean 1, 12). L’Évangile de Jean parlera de « naissance d’en haut » (ch. 3, v. 7), fruit du souffle de l’Esprit saint. C’est ce qu’annonce et signifie le baptême.




Bibliographie

Catéchisme de l’Église catholique, Paris, Mame/Plon, 1992 (pages 265 à 358).
Conseil Œcuménique des Églises, Baptême, Eucharistie, Ministère, Paris, Le Centurion/Presses de Taizé, 1982.
Études Théologiques et Religieuses, Montpellier, t. 70, Numéro spécial baptême, 1995/2.
FAMEREE Joseph (dir.), Baptême d'enfants ou baptême d'adultes ? Pour une identité chrétienne crédible, Montréal/Bruxelles, Novalis/Lumen Vitae, 2006.
GOUNELLE André, Le baptême, le débat entre Églises, Paris, Les Bergers et les Mages, 1996.
Exemples de livrets de préparation au baptême :
- CPLR (Communion Protestante Luthéro-Réformée) : Le Baptême, don de Dieu. Pour préparer un baptême, Strasbourg, Oberlin, 1990.
- Église catholique : Le baptême de notre enfant, coll. Fêtes et saisons, Paris, éd. du Cerf, 2005.