<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: février 2010

vendredi 19 février 2010

Épaisseur de la mémoire (3) : 'L'Effet papillon'




L'Effet papillon (The Butterfly Effect), film américain réalisé par Eric Bress et J. Mackye Gruber et sorti en 2004.

Pendant son enfance, Evan Treborn (Ashton Kutcher) a eu des trous de mémoire pendant lesquels des événements graves se sont produits. Le premier a lieu à l'école primaire, où, la maîtresse demandant aux élèves de dessiner ce qu'ils voulaient faire plus tard, il se représente comme le meurtrier de deux personnes. Conduit chez le psychiatre, Evan se voit proposer d’écrire ce qu’il vit sur des cahiers…




À l'âge adulte, Evan veut comprendre ce qui s'est passé pendant ces trous de mémoire. Mais ses recherches maladroites conduisent au suicide de son amie d'enfance, Kayley Miller (Amy Smart), dont il est demeuré amoureux, elle qui s’avèrera être restée antan auprès de son père après la séparation de ses parents être proche d’Evan.

Relisant ses cahiers d'enfance, il se rend compte que la lecture de ces cahiers lui permet de revenir à l'événement et de le changer ! Mais ces changements ont à chaque fois des impacts imprévus sur ce que lui et ses amis d'enfance sont devenus, et chaque situation débouche sur une autre réalité tragique.

Version cauchemar de « Retour vers le futur » !




Durant le film, on comprend peu à peu ce qui s'est passé pendant ses trous de mémoire.

Première scène traumatique, le père de son amie Kayley (et de Tommy son frère) avait contraint Evan et Kayley à tourner une scène de film à caractère pédophile. Revenant à ce passé, Evan le modifie en prenant vivement à partie, comme enfant, le père effrayé qui cessera de s’en prendre à Kayley, mais accentuera par son comportement à son égard les tendances sadiques de son fils Tommy. Evan qui s’est réveillé formant cette fois un couple heureux avec Kayley, est conduit à tuer Tommy qui le menaçait, n’ayant déjà jamais accepté son idylle avec Kayley. Et Evan se retrouve en prison, en proie à toutes les violences.

Ayant pu obtenir ses cahiers d’enfance, il parvient à retoucher une autre scène traumatique, celle où Tommy brûlait vif son chien. Cette fois, leur ami Lenny a tué Tommy, ce a qui réduit Lenny, jusqu’à l’âge adulte où Evan le retrouve, à l’état de légume… Cela sachant que Lenny n’en était pas à son premier traumatisme : il avait été la cause de la mort d’un bébé, tué par un bâton de dynamite placé dans la boîte à lettres de sa mère par Lenny à l’instigation de Tommy. Déjà lourdement traumatisé, être l’auteur de la mort de Tommy lui porte un coup psychique fatal. Quant à Kayley, elle est, dans cette nouvelle correction du temps, prostituée.

Evan décide alors de corriger à nouveau le passé, en modifiant la scène de l’explosion de la boîte à lettres : prévenir la mère en train de s’en approcher avec son bébé… Et c’est Evan qui se réveillera, plus tard, sans bras et tétraplégique… Kayley et Lenny, eux sont fiancés, et Tommy est actif dans les œuvres de charité. La mère d’Evan qui a beaucoup fumé suite au handicap de son fils, se meurt d’un cancer du poumon.

Il retourne alors au passé pour détruire le bâton de dynamite trouvé chez le père de Kayley, dans les mains de laquelle il explose. Evan se retrouve adulte, interné en psychiatrie, sans ses cahiers… jamais écrits, puisque dans cette nouvelle version du passé le psychiatre ne lui a jamais conseillé de les écrire ! Le psychiatre auquel il les demande explique à l’adulte qu’Evan est devenu que ses cahiers « font partie de la vie de remplacement qu’il a imaginée pour nier la culpabilité d’avoir tué Kayley ».

Ce sont des films-souvenirs de sa mère qui lui fournissent une solution pour tenter de retourner dans le passé…



Ici « l’effet papillon » se poursuit en plusieurs versions. Il existe deux versions principales de la fin du film : une fin « producteur » et une fin « réalisateur ».

Deux fins dont l’une est un peu moins pessimiste que l’autre.

Ainsi, dans la version cinéma, le film se termine après qu’Evan, revenu dans son enfance au moment de sa première rencontre avec Kayley, lui assène quelques phrases dures qui éviteront qu'elle reste chez son père pour lui... Après cela, on retrouve les deux personnages adultes se croisant dans une rue au milieu de la foule et, selon la version — il y en a trois —, soit ils se parlent, soit ils s'évitent sans vraiment se reconnaître (seule perce, peut-être, une intuition, comme celle d’une possible séduction), soit Evan suit Kayley.

Ici prime l’idée que quel que soit notre passé et l’épaisseur de notre mémoire, il s’agit de vivre avec : c’est bien cette épaisseur-là qui est le substrat de notre être. Et tant qu’à faire, autant le vivre de façon apaisée… Il n’y en aura au fond pas d’autre.

Mais une toute autre fin est également disponible. Ici, Evan décide de revenir dans le ventre de sa mère, et enroule le cordon ombilical autour de son cou, se suicidant afin de ne pas exister. Cette fin alternative, aussi appelée "Director's Cut", a ensuite été diffusée via l'édition DVD Collector.

Voie sans issue, ou dont l’issue est de se rendre à l’avis que « le plus heureux est celui qui n'a pas encore été et qui n'a pas vu l'œuvre mauvaise qui se fait sous le soleil » (Ecclésiaste 4, 3)… une voie où pèse de tout son poids l’idée de l’inconvénient d’être né.

Dans la version "Director's Cut", il y a, en plus de la fin à l'hôpital, une scène ajoutée de 3 minutes où Evan et sa mère vont consulter une voyante. Cette dernière est horrifiée à l'idée de découvrir que Evan « n'a pas d’aura, pas d’âme » et qu’« il ne devrait pas être ici » (les paroles de la voyante sont d'ailleurs retrouvées dans la fin alternative à l'hôpital). De plus, on peut remarquer que dans la scène de la voyante, la mère d'Evan lui explique qu'elle a eu deux fausses couches avant lui, et dans la scène finale, on l'entend dire qu'elle en a eu trois. Cela sous-entend qu'Evan n'est pas le premier à qui cette histoire est arrivée.

Au final, on dispose bel et bien de 4 (3 + 1) fins différentes, chacune apportant au film un impact émotionnel totalement différent.

Bande annonce :



(Version "Director's Cut" (en français) : ici, en entier. Version cinéma en 6 vidéos (en français) : ici, partie 1. Et suite, parties 2-6 en lien.) Cf. aussi ici.



*


La clef est peut-être donnée par le psychiatre d’Evan : une série de passés imaginaires inventés quand un seul s’est avéré dans le concret, celui où Kayley est morte et où Evan est en psychiatrie, comme son père y avait été interné pour les mêmes raisons…

Les deux (ou quatre) versions seraient alors autant d’élaborations de son imagination…

Mais dans lequel des possibles vécus comme réels par Evan ses souvenirs sont les moins réels ? Chacun de ses passés est aussi réel que les autres pour son propre vécu, dans chacun des possibles qu’il a parcourus…




« On ne se souvient pas de ce qui est ancien ;
et ce qui arrivera dans la suite ne laissera pas de souvenir chez ceux qui vivront plus tard. »
Ecclésiaste 1, 11

« Si tu gardais le souvenir des iniquités, Éternel,
Seigneur, qui pourrait subsister ? »
Psaumes 130, 3

vendredi 12 février 2010

Épaisseur de la mémoire (2) : '2010'




2010 : L'Année du premier contact (2010), film américain réalisé par Peter Hyams, sorti en 1984. Il est l'adaptation de 2010 : Odyssée deux publié en 1982, et la suite de 2001 : L'Odyssée de l'espace, sorti en 1968 et réalisé par Stanley Kubrick.

Américains et Soviétiques cherchent à savoir ce qu'est devenu HAL 9000, l'ordinateur "devenu fou" dans 2001 Odyssée de l'espace, resté dans le vaisseau Discovery en dérive dans la proximité de Jupiter. Dans un monde où la guerre froide est toujours d'actualité, le directeur de la mission précédente, l'ingénieur qui a conçu le vaisseau spatial Discovery et le créateur de l'ordinateur, partent avec une équipe soviétique à bord du vaisseau spatial Leonov. Alors que sur Terre les tensions sont au maximum et que la guerre américano-soviétique est sur le point d'éclater, les scientifiques des deux camps vont devoir s'unir pour comprendre l'origine de la folie de HAL et survivre.
(Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/2010_:_Odyssée_deux ;
http://fr.wikipedia.org/wiki/2010_(film))


Publié à l’écrit en 1982, et sorti comme film en 1984, 2010 nous propulse aujourd’hui dans un univers parallèle, dans un autre possible : non seulement celui où, sous la guidance des concepteurs du « monolithe » mystérieux de 2001, va naître un second soleil dans notre système à partir de Jupiter, mais celui où malgré cela, et jusqu'alors, la guerre froide s’est prolongée, où le Mur de Berlin n’est pas tombé en 1989.

Le possible dans lequel nous sommes aujourd'hui en 2010 est celui où Jupiter n’a pas éclos en deuxième soleil ! Notre réel est autre.

Le possible dans lequel le Mur de Berlin de ne s’est pas effondré ne s’est pas avéré non plus. Est advenu un possible tout aussi inconcevable pour Arthur C. Clarke et Peter Hyams, que l’est pour nous celui où Jupiter éclorait en soleil : ce possible inconcevable en 1982-1984, c'est l’effondrement de l’Union soviétique en 1989 !

L'an 2010 du film est en un monde parallèle qui n’est pas advenu. Et pour nous qui habitons le possible advenu, le nôtre, nous évoluons dans une mémoire collective bâtie sur un autre réel que celui que connaissent les personnages de 2010. Un autre 2010 est le nôtre…

* * *

« Dieu connaît les infinis qui ne sont, ne seront et ne furent, et qui néanmoins sont en puissance de la créature. Il connaît aussi les infinis qui sont en sa puissance et qui ne sont, ni ne seront ni n'ont été » (Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, livre I, ch. 69).

* * *

La mémoire reçue comme histoire, collective, relève d'une lecture des événements advenus, de possibles réalisés comme épaisseur programmatique — d’un ordre similaire au récit de notre mémoire individuelle, advenant elle aussi aujourd’hui comme récit programmatique.

Thématique qui a retenu Philip K. Dick, avec ses androïdes à mémoire implantée dans Blade Runner, ou avec l’hypothèse d’une implantation psychique artificielle de souvenirs dans Total Recall.

Total Recall, film américain de Paul Verhoeven, sorti en 1990, adapté de la nouvelle We can Remember it for You Wholesale de Philip K. Dick.



Doug Quaid, habitant un futur (an 2048) où les efforts de colonisation de Mars auraient porté leurs fruits, a une vie tout ce qu'il y a de plus tranquille : il a un travail, des amis et une femme. Tout pourrait aller pour le mieux... mais Doug Quaid rêve très fréquemment de Mars et d'une femme qu'il connaîtrait là-bas alors même qu'il n'est jamais allé sur cette planète... Ce rêve récurrent le pousse un jour à aller voir une société appelée Rekall malgré les recommandations de sa femme et de son ami Harry.

La société Rekall vend des souvenirs qu'elle implante dans la mémoire de ses clients, prétendus aussi réels que le plus réel des souvenirs. Doug Quaid se laisse tenter par l'aventure et accepte qu'on lui implante des souvenirs d'un voyage sur Mars.

L'employé de Rekall lui déconseille dans un premier temps le voyage sur Mars, mais cède devant l'insistance de Quaid. Il lui propose alors de vivre des aventures d'un genre différent des simples vacances initialement désirées par Quaid. Ces aventures ont pour nom croisière-égo et consistent en souvenirs factices d'une semaine (ou plus) passée dans la peau de la personnalité désirée. Le choix de Quaid se porte vite vers l'agent secret.

L'employé lui dit alors dans les grandes lignes que cette expérience en vaut vraiment le coup, qu'il y aura un très grand nombre d'ennemis qui lui en voudront à mort, qu'il y aura une femme qui finalement sera à ses côtés, qu'il devra découvrir un grand secret et que, à la fin, lui (le gentil) tuera tous les méchants et que tout finira d'une agréable manière.
Doug accepte alors de se faire implanter cette vie d'agent secret...

L'implant se fait, mais il semble y avoir une complication et Doug Quaid est renvoyé (inconscient et incapable de se rappeler son passage chez Rekall) chez lui... où de nombreuses surprises l'attendent.

En se réveillant, Doug est attaqué par Harry et un groupe d'hommes. Doug les tue tous (avec une facilité désarmante) et rentre chez lui pour en parler à sa femme. Celle-ci l'attaque bientôt, sans autre explication. Quaid arrive à la maîtriser et elle lui avoue qu'elle fait partie de l'Agence et qu'il n'est pas Doug Quaid, que sa mémoire a été effacée et qu'on lui a fait d'autres implants.

Doug commence alors à fuir, échappant de peu à ses poursuivants et récupère au bout d'un moment une mallette qui lui aurait autrefois appartenu. La mallette révèle un écran où il se voit lui-même (enfin physiquement parce que la personne qui lui parle dit s'appeler Hauser) lui expliquant qu'il doit se rendre sur Mars afin d'aider la résistance martienne contre Cohaagen, l'administrateur de la colonie fédérale de Mars (incluant les mines martiennes — dont personne ne connaît l'existence sur Terre). Intrigué, Doug suit les conseils de son alter ego et arrive sur Mars...

Là-bas, il doit commencer sa mission... et découvrir Mars. Mais qui est-il vraiment ?
Douglas Quaid ? Hauser, le génial espion ? Les deux ? Aucun ? S'agit-il de l'implant de mémoire ? Ou est-ce la réalité ? Il n'est pas facile de trancher. Des indices semblent donnés aussi bien pour accréditer l'une ou l'autre des réalités, des deux mémoires...


Alternance de possibles collectifs, de mémoires collectives alternatives à nouveau, et à nouveau selon Philip K. Dick, dans son roman Le Maître du Haut Château (titre original : The Man in the High Castle).




En 1947, les Alliés capitulent devant les forces de l'Axe (Allemagne nazie, Japon impérialiste, Italie fasciste). Les États-Unis sont divisés en trois :

- Une zone orientale dont il est question dans le roman seulement sous forme de rumeurs de camps de concentration ;
- Une zone Pacifique sous domination japonaise ;
- La zone centrale qui forme un pays vassalisé et exsangue.

Ce sont dans les deux zones centrale et occidentale que se déroulent les différentes actions de l'intrigue. On suit à San Francisco plusieurs personnages :

Au cœur du livre, un roman : La Sauterelle pèse lourd. Sa mention revient de nombreuses fois au cours de la narration. Son titre provient d'une citation de l'Ecclésiaste (12:5).

La Sauterelle est un roman dans le roman, une uchronie dans l'uchronie : son auteur, Hawthorne Abendsen, a écrit cette histoire où les Alliés sont vainqueurs de l'Axe. Les héros japonais et allemands s'intéressent de près à ce livre, et les nazis veulent en éliminer l'auteur. Philip K. Dick ne nous livre pas tous les détails de ce roman. Mais le monde qui y est décrit n'est pas tout à fait semblable au nôtre. La Sauterelle parle bien du président Roosevelt (assassiné dans le monde du Maître du haut château) et de la bataille de Stalingrad. Cependant, il est aussi évoqué une domination anglo-saxonne sur la Russie et même une possible guerre entre le Royaume-Uni et les États-Unis.

Dans le roman, le livre La Sauterelle est interdit dans toute la partie sous domination nazie.

Si l’uchronie écrite par Philip K. Dick change le cours de l'histoire, l'auteur part de l'histoire réelle dont les éléments se retrouvent dans ce monde changé :

C'est la mort précoce du président Roosevelt qui constitue le point de changement pour Philip K. Dick.

Le régime nazi se perpétue dans les territoires conquis : génocide sur la Côte Est, et rumeur de conquête et de nettoyage ethnique en Afrique.

Dick ne peut imaginer une Seconde Guerre mondiale qui ne se terminerait pas en Guerre froide. Les relations entre les alliés allemands et japonais sont loin d'être cordiales dans le roman.

Les habitants des États-Unis se relèvent lentement de la défaite par l'innovation artisanale, par la vente de leur patrimoine à des vainqueurs qui l'apprécient. Ils commencent à prendre leur revanche comme le montre le personnage Frank dans sa relation avec les Japonais, mais sont décrits comme gardant un fort complexe d'infériorité devant la culture de leurs vainqueurs.

Les Etats-Unis n'ont pas eu les moyens de développer leur aviation à réaction. L'ingénieur allemand Werner von Braun qui va inventer pour l'Allemagne des fusées pour les vols intercontinentaux : la Lune est conquise peu après la fin de la guerre, les premières missions vers Mars commencent dans la décennie qui suit, ce que Dick impute dans le livre au goût pour l'abstraction de la culture allemande, « La race, la colonisation spatiale, l'espace vital : ils ne raisonnent que comme ça ».

(Dans la réalité, c'est bien von Braun qui a développé des fusées-missiles V2 pour Hitler avant d'être récupéré par les États-Unis d'Amérique et de participer aux projets de fusées spatiales.)

Dans un roman où le monde est clairement sous la domination de l'Axe, les personnages du Maître du haut château découvrent par le roman La sauterelle, via le Yi King, que les Alliés ont vraiment gagné la guerre, affirmant qu’en fait : "l'Allemagne et le Japon ont perdu la guerre" !

On peut y voir une nouvelle mise en abyme où, sans se l'avouer clairement, les personnages doivent admettre qu'ils vivent dans une fiction. Cependant, le livre La sauterelle ne décrit pas tout à fait notre réalité — renvoyant à notre propre questionnement, quelle est notre réalité ? Car nous aussi, comme les personnages du roman, nous lisons un livre qui nous décrit un autre monde en nous disant "c'est la réalité". À travers ces jeux de miroirs, le roman de Philip K. Dick pose à nouveau la question de la définition de la réalité, de sa frontière avec la fiction, de notre existence et de son incertitude.


Au jour où tremblent les gardiens de la maison,
où se courbent les hommes vigoureux,
où s'arrêtent celles qui meulent, trop peu nombreuses,
où perdent leur éclat celles qui regardent par la fenêtre,
quand les battants se ferment sur la rue,
tandis que tombe la voix de la meule,
quand on se lève au chant de l'oiseau
et que les vocalises s'éteignent ;
on a peur de ce qui est élevé,
on a des frayeurs en chemin,
tandis que l'amandier est en fleur,
que la sauterelle pèse lourd
et que le fruit du câprier éclate ;
alors que l'homme s'en va vers sa maison d'éternité,
et que déjà les pleureuses rôdent dans la rue ;
— avant que ne se détache le fil d'argent
et que la coupe d'or ne se brise,
que la jarre ne se casse à la fontaine
et qu'à la citerne la poulie ne se brise,
— avant que la poussière ne retourne à la terre, selon ce qu'elle était,
et que le souffle ne retourne à Dieu qui l'avait donné.
Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste,
tout est vanité.
(Ecclésiaste 12, 3-8)




lundi 1 février 2010

Épaisseur de la mémoire — Blade Runner et Rachel




Blade Runner — ou Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (Do Androids Dream of Electric Sheep?), roman de science-fiction écrit par Philip K. Dick en 1966 et publié deux ans plus tard aux USA.

Adaptation cinématographique par Ridley Scott en 1982 avec le film Blade Runner.



... Dans les dernières années du 20ème siècle, ont été conçus les « replicants », des androïdes prévus pour durer quatre ans, capables de travailler et d’assister les êtres humains, dont rien ne peut les distinguer.

Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? ou : les souvenirs comme implants mémoriels ? — question qui se pose à Rachel, une « replicant » qui pensait être humaine…



« La vérité que Rachel commence à entrevoir sur son compte est si intolérable qu'elle s'empresse de démentir Deckard en lui opposant une photo de famille qui la montre petite fille au côté de sa mère. Deckard, qui a lu son dossier (preuve qu'elle est une "replicant"), lui raconte un souvenir lié à un épisode de son enfance qu'elle est censée avoir vécu avec un ancien ami. A l'évocation de cette réminiscence enfouie au cœur de sa mémoire, Rachel est émue jusqu'aux larmes. Deckard, alors, s'empresse d'abattre ses dernières résistances en lui affirmant que ce ne sont pas ses propres souvenirs, contrairement à ce qu'elle croit, que ce sont sans doute ceux de la nièce de Tyrel qu'on lui aurait implantés en guise de mémoire artificielle. [...] Découvrir qu'on n'a pas eu d'enfance, qu'on n'a jamais été enfant, qu'on n'a jamais eu de mère, qu'on est une machine à l'effigie humaine qui n'a tout au plus que quatre ans d'existence »... (In "Lumineux regrets")



Détail d’un souvenir d’enfance qu’elle croyait intime : souvenir d’ « une araignée dans un buisson devant la fenêtre. Corps orange, pattes vertes. Tissant sa toile. Et un jour l’araignée a pondu un gros œuf. Et l’œuf a éclos », raconte Deckard. Et Rachel enchaîne : « l’œuf a éclos. Et des centaines de bébés araignées sont apparus. Ils l'ont mangée »...

Souvenir implanté… Selon la durée d’existence des « replicants » Rachel a entre un an et quatre ans, avec une épaisseur mémorielle plus profonde, jusqu’en ses souvenirs d’enfance, jusqu’en sa connaissance de la musique via ses souvenirs d’apprentissage du piano… Élément d’une carte mémoire…



Mais au fond…

Qu’en est-il de Deckard lui-même ?

Si dans le roman de Philip K. Dick, Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, Rick Deckard est clairement identifié comme un humain, le film est beaucoup plus ambigu... La nature de Deckard dépend de la version qui est visionnée.




« Deckard est-il humain ? Le montage de (la version du film de) 1992 réintègre une scène où apparaît une licorne, laissant voir un rêve de Deckard et quelques plans montrant la fascination qu’il partage avec les replicants pour les photos. La licorne en papier plié laissée par Gaff, le policier qui l’arrête au début du film, devant l’appartement suggère que le policier connaît les rêves de Deckard, tout comme Deckard connaît le secret de Rachel, un souvenir d’araignée qu’elle croyait secret mais dont il lui parle. [Cela suggèrerait que] Rick est lui aussi un replicant [?] » (http://cercles.com/n18/tron.pdf)

(Musique de Vangelis :)



... Qu’en est-il de notre propre épaisseur mémorielle, du substrat mémoriel de notre aujourd’hui, seule réalité présente ?

... « Aussi longtemps qu’on peut dire "aujourd’hui" »...
(Épître aux Hébreux, ch. 3, v. 13).