<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: 2001 : l'odyssée de l'espace

mercredi 14 novembre 2007

2001 : l'odyssée de l'espace

  

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2001 : l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick, 1968.



«Les scènes fortes, celles dont vous vous souvenez, ne sont jamais des scènes où les gens se parlent, ce sont presque toujours des scènes de musique et d'images», a dit un jour Kubrick.

Arte : «En ce sens, 2001: l'odyssée de l'espace est certainement le film le plus abouti de l'histoire du cinéma; la musique et les images forment ensemble un spectacle chorégraphique qui dépasse l'expérience verbale.»



Une expérience visuelle

Stanley Kubrick : « (...) 2001 est fondamentalement une expérience visuelle, non verbale. Le film évite la formulation verbale en termes conceptuels, et atteint le subconscient du spectateur de manière poétique et philosophique. Il devient ainsi une expérience subjective qui touche le spectateur sur un mode de conscience interne, comme la musique ou la peinture. »
(Extrait de l’entretien de Stanley Kubrick avec Joseph Gelmis, in The Film Director as Superstar, 1970, repris dans Positif, n° 464, octobre 1999.)

« J'ai essayé de créer une expérience visuelle, qui contourne l'entendement et ses constructions verbales, pour pénétrer directement l'inconscient avec son contenu émotionnel et philosophique. J'ai voulu que le film soit une expérience intensément subjective qui atteigne le spectateur à un niveau profond de conscience, juste comme la musique ; "expliquer" une symphonie de Beethoven, ce serait l'émasculer en érigeant une barrière artificielle entre la conception et l'appréciation. Vous êtes libre de spéculer à votre gré sur la signification philosophique et allégorique du film, mais je ne veux pas établir une carte routière verbale pour 2001 que tout spectateur se sentirait obligé de suivre sous peine de passer à côté de l'essentiel ».


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Scénario — explicitation « littérale »

Stanley Kubrick parle de « 2001 », extrait d'un article de Joseph Gelmis, paru dans Newsday du 4 Juin 1968 :


Chacun a sa théorie au sujet de la signification de « 2001 : l'odyssée de l'espace ». Comment Stanley Kubrick explique-t-il le rôle de l'aventure dans son film ?

« C'est là où vous entrez dans ce qu'on pourrait appeler la zone fertile de l'ambiguïté », déclare Stanley Kubrick. « Parce qu'il y a une explication très simple et très littérale au niveau le plus élémentaire possible du scénario. Un objet a été laissé sur terre par des explorateurs extraterrestres, il y a cinq millions d'années. Un autre objet a été laissé sur la Lune afin de pouvoir marquer le premier pas trébuchant de l'homme dans le cosmos. Un autre a été placé sur l'orbite autour de Jupiter pour servir de relais ».


C’est La Sentinelle, une nouvelle de science-fiction d'Arthur C. Clarke, qui a inspiré 2001 : l'odyssée de l'espace. Elle a été écrite en 1948 et publiée en 1951 :

Une équipe d'astronautes atterrit sur la lune, part en expédition et y découvre une pyramide sur la plate-forme d'une falaise. Le narrateur y voit le symbole d'une intervention extra-terrestre, et imagine (ou devine) qu'il s'agit d'une sentinelle, placée là pour savoir quand les humains auront atteint cet endroit, et seront donc devenus une civilisation intelligente.

Selon Clarke (co-scénariste et interlocuteur privilégié de Kubrick),
le scénario s'écarte de son texte original et ce dernier écrira par la suite un roman éponyme, lui-même assez différent du film. Clarke jugeait certaines scènes trop hermétiques et en donna une version plus explicite : pour lui, le thème global est de montrer l'humanité conduite dans une évolution perpétuelle par des forces extra-terrestres jamais nommées mais bien présentes. Leur intervention se situe dès les premiers hommes et se symbolise par l'apparition d'un monolithe noir à chaque étape cruciale de cette évolution.

Kubrick :
« […] je ne vois pas d’inconvénients à en parler, au niveau le plus élémentaire : je veux dire en vue d’une simple explicitation de l’intrigue. Elle commence par un artefact laissé sur terre il y a quatre millions d’années par des explorateurs extraterrestres venus observer le comportement des hommes-singes de l’époque, et qui avaient décidé d’influencer le cours de leur évolution.
Puis vous trouvez un second artefact enterré sur la Lune et programmé pour donner le signal des premiers pas de l’homme dans l’univers. C’est une sorte de clairon cosmique.
Et, finalement, vous avez un troisième artefact placé en orbite autour de Jupiter dans l’attente du moment où l’homme aura atteint la limite extrême de son propre système solaire.
Quand l’astronaute qui a survécu, Bowman, finit par atteindre Jupiter, l’artefact l’entraîne dans un champ de forces, à travers des espaces intérieurs et extérieurs, et le transporte finalement dans une autre partie de la galaxie. Là, il est placé dans un zoo humain, en quelque sorte un hôpital, un environnement terrien tiré de ses propres rêves et de son imagination. Le temps n’existe pas : sa vie passe de l’âge mûr à la vieillesse et à la mort. Il renaît en un être amélioré, un enfant-étoile, un ange, un surhomme si vous voulez, et retourne sur terre prêt pour la nouvelle étape de l’évolution et de la destinée humaines. »
(Extrait de l’entretien de Stanley Kubrick avec Joseph Gelmis, in The Film Director as Superstar, 1970, repris dans Positif, n° 464, octobre 1999.)


L'ordinateur

Le vaisseau « Discovery », qui embarque cinq cosmonautes, dont trois en hibernation, à destination de Jupiter (vers où le monolithe trouvé sur la Lune émet des signaux), est entièrement supervisé par le superordinateur HAL 9000.
HAL signifie « Heuristically programmed ALgorithmic computer ». Dans la version française HAL 9000 devient CARL 500, CARL soit « Cerveau Analytique de Recherche et de Liaison ».
On s'est très vite aperçu que l'acronyme HAL correspondait à IBM par décalage d'un rang de chacune des lettres (H->I, A->B, L->M), et que ce n'était peut-être pas un hasard. Stanley Kubrick et Arthur C. Clarke ont toujours démenti cette allégation. Cela ne pose plus de problème depuis qu’IBM s’est dit flatté du rapprochement. (En 1982, dans 2010 : Odyssée deux - cf. 2001-3001, Les Odyssées de l'espace, éd. Omnibus, 2001, p. 308 - un personnage de Clarke jugera ce rapprochement absurde.)

Doté de « réactions humaines », HAL est un précieux compagnon jusqu'au jour où l'un de ses pronostics se révèle erroné. (On a commis l'erreur « d'introduire dans sa programmation tout ce qu'on sait, tout ce qu'on suppose des monolithes » - et que les astronautes ignorent. « Fatale erreur »... écrit J. Goimard dans Une Odyssée formelle, introduction à A. C. Clarke, 2001-3001, Les Odyssées de l'espace, éd. Omnibus, 2001.)
Le soupçonnant de « mauvaises intentions », les deux cosmonautes envisagent secrètement de le déconnecter... Ils ont coupé les micros mais HAL a lu sur leurs lèvres.

HAL
parvient à tuer quatre des leurs avant de « mourir » lui-même, désactivé, « lobotomisé ».


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En pénétrant dans l'unité centrale de la machinerie pour y désactiver un à un les modules correspondant à ses fonctions supérieures (« higher brain functions »), l'astronaute Dave Bowman éveille chez HAL un sentiment de détresse et des affects régressifs qui se traduisent, notamment, par une chansonnette (« Daisy, daisy… » — en français : « Au clair de la lune ») interprétée d'une voix de plus en plus ralentie. C'est en plongeant progressivement dans l'équivalent d'un état végétatif qui le condamnera à l'exécution stupide de tâches automatisées, que HAL parvient à exprimer de la manière la plus convaincante l'expérience d'une auto-affection fondamentale. « My mind is going, I can feel it… » : et HAL a peur (« I'm afraid, Dave… »).


*


« Lorsqu’il arrive sur Jupiter, l'astronaute est jeté dans un champ de forces qui l'entraîne dans une autre dimension spatio-temporelle à un autre endroit de la galaxie. Il est mis dans ce qui est l'équivalent d'un zoo humain pour y être étudié. Sa vie se passe dans cette pièce et cela ne lui semble durer qu'un instant. Il se peut qu'il y passe toute sa vie normale ou bien qu'elle soit télescopée ou encore qu'elle soit réduite à quelques minutes. Il meurt et il renaît sous une forme supérieure. Il revient sur Terre comme ange ou comme surhomme, ou du moins transfiguré. Au niveau le plus simple, c'est ce qui "arrive". Mais le fait que l'on n'utilise pas de mots et que l'événement ait vraiment des résonances lointaines, est positif.

A d'autres niveaux, le film signifie tout ce que l'on peut ressentir à son sujet. Je ne pense pas devoir m'appesantir au-delà de ce niveau élémentaire. Bien entendu, toute impression que vous pouvez ressentir à l'égard du film est valable si elle ne contient pas de contradiction. S'il a de l'effet sur vos émotions sur votre subconscient, sur vos aspirations mythologiques, alors il a réussi. »



Mythologie

« Tout ce qui est au-delà de l'entendement humain semble magique. Il y a une tonalité religieuse dans le film qui se retrouve dans la quête par l'humanité d'une rencontre avec un être supérieur.

Une fois que vous êtes lancé dans des méditations, une fois que vous vous dites, bon, l'univers est probablement rempli de civilisations évoluées, parce qu'il y a cent milliards de galaxies dans l'univers visible, certains de ces mots doivent se situer à un niveau que l'esprit humain ne peut concevoir. Ces êtres auraient probablement des pouvoirs incompréhensibles. Ils pourraient être en communication télépathique à travers l'univers entier. Ils pourraient avoir la capacité de façonner les événements d'une façon qui nous semble divine. Ils pourraient même représenter une sorte de conscience immortelle qui fasse partie de l'univers.

Quand vous commencez à vous intéresser à ce genre de sujet, les implications religieuses sont inévitables, parce que tous ces caractères sont ceux que l'on attribue à Dieu. Ainsi voilà donc, si vous le voulez, une définition de Dieu parfaitement scientifique. »




* * * * * *


À ce point, on est bien dans le domaine d’une nouvelle mythologie, où le divin, l’angélique, se dit dans de nouvelles catégories, celles des cosmologies post- / coperniciennes, galiléennes, newtoniennes et einsteiniennes.

La fin du géocentrisme aristotélicien et ptoléméen, annoncée par Copernic, ouvre l’espace d’une véritable nouvelle angélologie. Dans le système aristotélicien médiéval, les planètes et leurs sphères sont les signes des Intelligences célestes, les anges, qui les meuvent dans un mouvement circulaire imitant la perfection divine — Le Paradis de la Divine Comédie de Dante en est l’expression poétique.

La fin du géocentrisme signe la fin de cette angélologie… et ouvre à une nouvelle forme de conception des Intelligences célestes — « extra-terrestres ». Une première esquisse de cette nouvelle approche est donnée par Giordano Bruno, qui renoue de la sorte avec une hypothèse déjà avancée par les premiers « matérialistes » de l’Antiquité, comme Démocrite : les astres pourraient abriter des créatures intelligentes semblables aux créatures humaines…

La lunette de Galilée scellera en 1609 la fin du géocentrisme, demandant de nouvelles explications cosmologiques. La théorie de Newton fera date, consacrant la similitude entre la Terre et les autres planètes du système solaire, ou d'autres systèmes solaires. Voltaire, newtonien, pourra alors imaginer son conte Micromégas, présentant l’arrivée sur Terre de deux géants originaires de Sirius et de Saturne.

Dorénavant, l’ange médiéval est relégué dans son passé pré-copernicien… au profit d’un ange « scientifique », l’extra-terrestre, bientôt doté des mêmes fonctions que ses prédécesseurs médiévaux : « sentinelle », veilleur, guide, inspirateur, etc.

Quant à sa fonction psychologique, elle a valu une réflexion de Jung : son livre Un mythe moderne. Sa dimension religieuse et mythologique a fini, on le sait, par donner naissance aux mêmes déviations que toutes les religions, et à des sectes.

N’en demeure pas moins une fonction mythologique redevenue, par ce biais, possible à l’ère scientifique.

Où l’on retrouve le monolithe de Clarke et Kubrick… et 2001 qui l’exploite à merveille.

Cela couplé à la mythologie techniciste de l’ordinateur « vivant » — où l’on retrouve la question du livre de Philip K. Dick intitulé : « les androïdes rêvent-ils de brebis électriques » (Do Androids Dream Of Electric Sheep ? — adaptation cinématographique de Ridley Scott : Blade Runner)…

Il est vrai que le monolithe présent aux moments tournants du développement technique et des progrès humains est, comme l’ordinateur, un artefact…

RP




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